Fission nucléaire et massacres africains

Jacques Morel - 26/04/2011
Image:Fission nucléaire et massacres africains

Le principal méfait de l’industrie nucléaire n’est pas celui qu’on croit
L’indépendance énergétique de la France

Le principal méfait de l’industrie nucléaire n’est pas celui qu’on croit.

Loin devant le danger qui pèse sur les populations résidant à proximité des centrales électro-nucléaires et des industries en amont et en aval du cycle de l’uranium, le sang des populations africaines que les soudards français ont fait couler, et continuent de verser, pour s’assurer le contrôle des régions d’Afrique recèlant des gisements d’uranium, constitue un tribut que partisans et opposants des applications dites pacifiques de l’énergie nucléaire feignent tous d’ignorer.

Qui connaît les circonstances dans lesquelles la France est entrée en possession du Niger où se trouvent les principales mines d’uranium d’Areva ? Qui se souvient de cette mission Afrique centrale, cette colonne infernale des capitaines Voulet et Chanoine, qui mit à feu et à sang le pays Mossi (Burkina Faso actuel), le Soudan (Mali actuel), le Niger et le Tchad en 1898-1899 ? Qui se souvient de ces 20 femmes tuées à coup de lance avec leurs nourrissons ce 9 janvier 1899 à Sansané-Haoussa, au bord du fleuve Niger, sur l’ordre du capitaine Voulet ?[1]

Qui se souvient que plus d’un millier d’habitants de Birni N’konni, bourg de l’actuel Niger, furent passés par les armes le 2 mai 1899 ?[2] C’est grâce à ces massacres que la France garde le contrôle de cette région encore à l’heure actuelle. Et réciproquement, c’est ce malheureux pays, le Niger, qui est garant de l’indépendance énergétique de la France, comme le Gabon et le Congo Brazza le sont pour le pétrole.[3]

Ainsi le conglomérat nucléaire français Areva contrôle au Niger les mines d’Arlit et d’Akokan, dans la région d’Agadez, et va mettre en exploitation le gisement d’Imouraren.

Ce pays était en 2008 un des plus pauvres de la planète mais le 3e exportateur mondial d’uranium. Le président du Niger, Mahamadou Issoufou est d’ailleurs un ancien de la Somaïr, filiale d’Areva.[4]

Autre preuve du caractère criminel de la domination française sur les pays d’Afrique au riche sous-sol, plusieurs militaires français ou collaborateurs de François Mitterrand, qui trempèrent avec lui dans le génocide des Tutsi au Rwanda, se retrouvent faire partie d’Areva.

Le PDG d’Areva, Anne Lauvergeon, était secrétaire général adjointe à la présidence de la République et, succèdant à Jacques Attali, conseillère de François Mitterrand en 1994, alors que celui-ci laisse massacrer de sang-froid les Tutsi du Rwanda par des tueurs qu’il soutient et arme.

Dominique Pin, conseiller adjoint à la présidence de la République pour les Affaires africaines, promoteur du Hutu Power avec Marcel Debarge, devient par la suite directeur d’Areva-Niger.

Ce Hutu Power, front commun anti-Tutsi que Pin et Debarge promeuvent lors de leur voyage à Kigali le 28 février 1993, est un des principaux organisateurs du génocide en 1994. Dominique Pin est expulsé du Niger le 25 juillet 2007. Niamey le suspectait de soutenir le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), formation à majorité touarègue qui, chassée de ses terres traditionnelles par les compagnies minières, réclamait une part des recettes.

Le général Christian Quesnot, chef d’état-major particulier du président de la République en 1994, principal responsable avec François Mitterrand, l’amiral Lanxade et le général Huchon de l’implication de la France dans le génocide des Tutsi, se voit chargé par Areva d’un audit sur la sécurité des mines d’Arlit, après l’enlèvement de plusieurs employés d’Areva et de sous-traitants le 16 septembre 2010.[5]

Le général Jean-Michel Chéreau, ancien adjoint du colonel Tauzin, commandant du 1er RPIMa, dans l’opération Chimère qui sauva l’armée du dictateur rwandais Habyarimana en février 1993, se voit chargé en 2011 de la sécurité d’Areva Niger.[6]

Sans cette intervention militaire secrète au Rwanda en 1993, le régime raciste d’Habyarimana, qui projetait de massacrer une partie de sa population, serait tombé et le
génocide des Tutsi n’aurait pas eu lieu.

L’espion rwandais en Suisse, Fabien Singaye, est embauché par Areva pour négocier l’acquisition de mines d’uranium en République Centrafricaine. Anne Lauvergeon et Fabien Singaye accompagnent Nicolas Sarkozy dans sa tournée à Kinshasa et à Bangui en 2009.[7]

Singaye est le gendre de Félicien Kabuga, banquier du génocide, pourvoyeur de machettes, président de Radio Télévision Mille Collines et grand ami de la France, toujours recherché par le TPIR.[8] Le juge Bruguière recourt aux services d’interprète de Singaye pour son enquête truquée qui accuse Paul Kagame d’être l’auteur de l’attentat contre l’avion d’Habyarimana. Avant le génocide de 1994, Singaye était lié à l’ex capitaine Barril.

Celui-ci, ancien membre de la cellule anti-terroriste de l’Elysée, est prétendument chargé de la sécurité du président rwandais Habyarimana. Mais que faisait-il donc à Kigali le jour même de l’attentat contre celui-ci, le 6 avril 1994 ? Et pourquoi exhibe-t-il devant la presse une fausse boîte noire le 28 juin 1994, alors que des militaires français l’ont récupérée après le crash ?

Pendant le génocide, Barril fournit des mercenaires et des armes aux tueurs.[9]

Le lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin, adjoint de l’attaché de Défense à Kigali et conseiller du chef d’état-major des Forces armées rwandaises de 1992 à 1994, est nommé conseiller d’Ange Patassé, président de la République Centrafricaine en octobre 1994. Maurin connaît vraisemblablement les vrais auteurs de l’attentat contre l’avion d’Habyarimana. Avec l’ambassadeur Marlaud, il rencontre le 7 avril le colonel Bagosora, principal ordonnateur des assassinats de personnalités politiques favorables aux accords de paix. Ils s’entendent avec lui sur les modalités de formation du gouvernement intérimaire qui mènera à bien le génocide des Tutsi.

Le colonel Luc Courcelle, frère de Bernard et Nicolas Courcelle, pourvoyeurs de mercenaires pour sauver le dictateur Mobutu en 1997, est nommé directeur de la sécurité d’Areva en Centrafrique en mars 2009.10 Le maréchal Mobutu a permis que l’opération Turquoise, par laquelle la France a sauvé les auteurs du génocide des Tutsi, se fasse à partir du Zaïre.

Le général de corps d’armée Emmanuel Beth, officier parachutiste de la Légion étrangère, est nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République française au Burkina Faso le 25 août 2010. Le 1er août 1994, il prenait le commandement de la 13e DBLE[11] dont il inspecte le détachement au Rwanda le 6 août.[12]

À ce moment-là, protégés par l’armée française, les Interahamwe poursuivent la chasse aux Tutsi restants dans la zone Turquoise.
L’ancien ministre de la coopération Michel Roussin, qui organisa secrètement le soutien militaire aux auteurs du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, alors que ceux-ci accomplissaient leur forfait, est aujourd’hui conseiller du patron d’EDF, Henri Proglio. Il devait se rendre au Mali les 19 et 20 avril 2011 pour discuter d’une entrée d’EDF dans la compagnie d’électricité Energie du Mali (EDM).[13]

François Mitterrand a pu impliquer les Français, sans qu’ils en soient vraiment informés, dans le génocide des Tutsi en utilisant le mécanisme de prise de décision mis à la disposition du Président de la République pour déclencher la force de frappe nucléaire. Pour décider de ce massacre de populations, il n’a besoin de consulter aucune instance élue.

C’est à propos du Rwanda que Mitterrand confie cyniquement à son fils Jean-Christophe : « Dans cette région des Grands Lacs les massacres sont devenus la norme. Dans ce type de conflit ne cherche pas les bons et les méchants, il n’existe que des tueurs potentiels. »[14]

Génocide des Tutsi en 1994, guerres et massacres au Congo ex-Zaïre, consécutifs à la non-arrestation par la France des auteurs du génocide des Tutsi, massacres au Congo-Brazza en 1998-1999, déstabilisation du Libéria, de la Sierra-Leone et de la Côte d’Ivoire par l’intermédiaire de Blaise Compaoré, président du Burkina Faso et assassin de son
prédécesseur, Thomas Sakara, coupable d’impertinence à l’égard du président français, massacre par les militaires français à Abidjan, le 9 novembre 2004, sont les maillons successifs d’une réaction en chaîne soigneusement entretenue par la France et jusqu’ici autrement plus mortels que les neutrons des réacteurs à eau pressurisée français.

Jacques Morel
24 avril 2011


Notes :

1 Muriel Mathieu, La mission Afrique centrale, L’Harmattan, pp. 103–104.

2 Ibidem, p. 137.

3 Ainsi que le rappelle ironiquement Boubacar Boris Diop dans sa postface à Murambi, le livre des ossements, Zulma, 2011.

4 La Lettre du Continent, no 610, 21 avril 2011, p. 6.

5 Otages/Niger : Areva remplace le responsable de sa sécurité interne, AFP, 16 novembre 2010.

6 http://commando-air-forum.forum2discussion.com/t9257-l-amiral-d-arbonneau-remercie-par-la-p-dg-d-areva-anne-lauvergeon.

7 Xavier Monnier, Les irradiants intermédiaires d’Areva en Afrique, Backchich, 15 avril 2009.

8 TPIR : Tribunal pénal international sur le Rwanda.

9 Sylvie Coma, Rwanda : les bonnes affaires du capitaine Barril au temps du génocide, Charlie Hebdo, 9 septembre 2009,
pp. 8–9.

10 La Lettre du Continent, no 560, 12 mars 2009.

11 13e DBLE : 13e Demi brigade de la Légion étrangère basée à Djibouti.

12 Képi blanc, octobre 1994, Ruanda. Opération Turquoise.

13 La Lettre du Continent, ibidem, p. 2.

14 Jean-Christophe, Mémoire meurtrie, Plon, 2001, p. 154.

Jacques Morel, ingénieur du CNRS retraité, est l’auteur de La France au coeur du génocide des Tutsi, L’Esprit Frappeur/Izuba, 2010 et de nombreux articles sur le rôle joué par la France au Rwanda publiés dans la revue annuelle, La Nuit rwandaise.

Il est l’auteur du « Calendrier des crimes de la France d’Outre Mer » édité chez L’Esprit Frappeur en septembre 2001.

Il est membre de l’association France Rwanda Génocide - Enquêtes, Justice, Réparations.

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 26/04/2011

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