Conférence internationale de la région des Grands Lacs - 24 novembre 2012
Que veut négocier le M23 avec Kabila ?
Lors du dernier sommet de la Conférence internationale de la région des Grands Lacs [CIRGL], mercredi 21 novembre, les présidents ougandais Yoweri Museveni, rwandais Paul Kagame et congolais Joseph Kabila avaient exigé, dans un communiqué commun, que les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23 [voir en bas de page]) se retirent de Goma.
Faisant fi de cet appel des trois chefs d’état, le M23 non seulement n’avait pas quitté Goma, mais prenait la ville de Sake et avançait vers Bukavu, la capitale du sud Kivu.
Une nouvelle rencontre de la CIRGL
Une nouvelle réunion de la CIRGL se sera donc tenu le week-end dernier au Centre des conférences internationales de Munyony, à Kampala, devant cette fois initier une rencontre entre le président congolais, Joseph Kabila, et le M23.
A l’issu de cette réunion, une déclaration des états membres de la CIRGL, en date du samedi 24 novembre et signée des 11 chefs d’états de la région, dresse un plan en dix points et demande une nouvelle fois au M23 de stopper toute activité belliqueuse et de quitter Goma [1], mais aussi, et c’est peu rappelé dans les médias (notamment les médias congolais), au gouvernement congolais « d’écouter, évaluer et répondre aux légitimes* réclamations du M23 » [2].
Le plan en dix points de la CIRGL (en anglais)
Les chefs d’états de la région appellent la MONUSCO à occuper et à rétablir la sécurité dans la « zone neutre » qui serait alors créée entre Goma – qui verrait le retour d’un bataillon des Forces armées de la République Démocratique du Congo [FARDC] et des forces de police congolaises, réarmées – et les zones occupées par le M23 [5].
Notons également que le secrétaire exécutif de la CIRGL, Alphonse Ntumba Luaba, a fait savoir que l’Afrique du Sud, dont une délégation importante a pris part à la réunion de samedi dernier, a offert son appui logistique pour la constitution de la « force internationale neutre » [6] devant se déployer dans la « zone neutre » entre les FARDC et le M23.
A noter : lors de ce sommet, les états membres ont également approuvé l’admission de la République du Sud Soudan [7] au sein du CIRGL.
Rappelons que le président rwandais, Paul Kagame, ne se sera pas rendu à ce somment de la CIRGL [8], ce dernier justifiant son absence par la visite programmée à Kigali du président congolais Denis Sassou Nguesso.
Néanmoins, ce dimanche 25 novembre, il aura appuyé les décisions prises à Kampala, les présidents Paul Kagame et Denis Sassou Nguesso appelant, dans le communiqué commun ayant clôturé leur rencontre au Rwanda, « le gouvernement de la RDC et le M23 à mettre en oeuvre les conclusions de Kampala qui représentent une bonne base pour le règlement de ce conflit ».
Un sommet pour rien ?
En marge de la rencontre des chefs d’état lors du CIRGL, on attendait une rencontre ce dimanche entre Joseph Kabila et le M23.
Il apparaît cependant que les 11 chefs d’État de la région réunis à Kampala n’ont rien pu faire pour amorcer le dialogue entre le M23 et le président Joseph Kabila.
Le président du M23, Jean-Marie Runiga, avait pourtant affirmé samedi avoir eu « une rencontre préliminaire » avec le président congolais Joseph Kabila.
« Et puis… plus rien », nous dit Christophe Rigaud (Afrikarabia), « dimanche, Joseph Kabila a rejoint Kinshasa dans l’après-midi, sans rencontrer Jean-Marie Runiga, le patron de l’aile politique de la rébellion ».
« Depuis le rendez-vous manqué de dimanche entre Kabila et Runiga, les recommandations du Sommet de Kampala paraissent bien illusoires. Kabila est retourné à Kinshasa et le M23 (toujours à Kampala) semble bien décidé à ne pas quitter Goma avant de négocier avec le président congolais. La situation paraît donc bloquée. Seule avancée, une reconnaissance par les chefs d’Etat de la région des Grands Lacs, de certaines revendications légitimes du M23 ».
Le blocage des négociations
Les autorités congolaises ont rappelé qu’elles n’entameraient aucune négociation avec la rébellion du M23 tant que cette dernière occupe Goma.
A contrario, pour le chef des rebelles du M23, Jean-Marie Runiga, le retrait de Goma, loin d’être une condition de la reprise des négociations, est « un préalable à toute négociation ».
Selon le M23, Kinshasa cherche à gagner du temps et « promet la paix, mais prépare la guerre ».
Runiga Lugerero estime par ailleurs qu’« il faut se mettre autour d’une table avec la société civile, la diaspora, l’opposition et le gouvernement pour qu’on puisse parler de tous les problèmes des Congolais ».
Que veut négocier le M23 avec Kabila ?
Les revendications du M23 ont évolué depuis la création de la rébellion, en avril 2012. Au coeur des discussions, les fameux accords du 23 mars 2009 (qui ont donné son nom au mouvement rebelle).
Que veut négocier le M23 avec Kabila ?
Extrait de RDC : Que négociera le M23 avec Kabila ? (Afrikarabia)
Au coeur des discussions, nous trouverons évidemment les fameux accords du 23 mars 2009 (qui ont donné leur nom au M23). Dans ces accords, la rébellion de l’époque, le CNDP (dont sont issus les membres du M23), demandaient l’incorporation des rebelles dans l’armée régulière (FARDC) et l’intégration politique de leur mouvement dans les institutions congolaises. Pour les rebelles, ces deux exigences n’ont été pas été correctement respectés par Kinshasa.
Ils accusent notamment le président Kabila d’avoir voulu éloigner ses soldats de leurs fiefs du Kivu et de ne pas avoir maintenu tous les officiers dans leur grade. Concernant le Kivu, le M23 a deux raisons de ne pas s’en éloigner. La première parce que la région est richement pourvue en minerais divers, or, coltan, cassiérite… qui constituent la principale source de financement de leur mouvement.
La deuxième raison est ethnique [9]. Le M23 entend défendre la communauté tutsie, souvent réprimée et menacée, notamment par la milice hutue des FDLR.
Côté politique, l’ex-CNDP, devenu M23, n’a jamais pu avoir accès aux institutions politiques de RDC.
Les revendications du M23
Les rebelles du M23, qui occupent Goma depuis le mardi 20 novembre, réclament l’ouverture des négociations politiques avec le chef de l’Etat, Joseph Kabila, avant tout retrait de cette ville. Cet accord inclut aussi la reconnaissance des provinces du Nord et du Sud-Kivu comme des « zones sinistrées ».
Après la prise de Goma, le M23 a élargi ses revendications aux questions de droits de l’homme, de démocratie et de bonne gouvernance, accusant au passage le président Kabila d’avoir triché aux élections de novembre 2011 qui le maintiennent au pouvoir jusqu’en 2016. Les négociations devraient inclure, selon le M23, les représentants de l’opposition, de la société civile et de la diaspora congolaise.
Relecture, par Radio Okapi :
Les rebelles du M23, qui occupent Goma depuis le mardi 20 novembre, réclament l’ouverture des négociations politiques avec le chef de l’Etat, Joseph Kabila, avant tout retrait de cette ville.
Leurs revendications ont évolué puisqu’en prenant les armes en avril dernier, les rebelles du M23, à travers leur coordonateur Jean Marie Runiga, exigeaient du gouvernement congolais, le respect des clauses de l’accord signé le 23 mars 2009 entre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de l’ancien général Laurent Nkunda et le pouvoir de Kinshasa. Les chefs militaires du M23 sont issus du CNDP.
Parmi ces clauses, il y a notamment la proposition d’un nouveau modèle de découpage du territoire national censé aider le rapprochement entre les administrateurs et les administrés, peut-on lire dans cet accord sans plus de détails.
Cet accord jetait aussi les bases d’un mécanisme de retour pour les réfugiés congolais et autres déplacés internes en RDC. Selon cette dernière clause, le gouvernement s’engageait à relancer, dans les plus brefs délais, les Commissions tripartites relatives aux réfugiés congolais se trouvant dans les pays voisins et à initier des actions de réhabilitation nécessaires à leur réinsertion dans leurs milieux d’origine.
En plus de cela, le gouvernement devait déclarer les provinces du Nord et Sud Kivu, « zones sinistrés », et mettre en œuvre des projets intégrateurs et de développement, en commençant par les territoires les plus sinistrés, lieu de résidence des démobilisés et des réfugiés de retour. Les projets intégrateurs devaient puiser sa main d’œuvre parmi les déplacés et les réfugiés de retour dans leurs territoires.
Ces accords incluent aussi l’intégration des forces du CNDP au sein des FARDC et de la police nationale, avec la reconnaissance de leurs grades. Le CNDP revendiquait également une loi d’amnistie en faveur de ses hommes, couvrant la période de juin 2003 jusqu’à la date de sa promulgation.
Enfin, le CNDP et le gouvernement avaient convenu de la nécessité de mettre en place des mécanismes fiables et efficaces de bonne gouvernance à tous les niveaux et dans tous les domaines, y compris celui de la certification, de l’exploitation, de l’évaluation et du contrôle des ressources naturelles.
La guerre des Kivu
Pendant ce temps, la situation militaire est toujours figée autour de Goma, toujours au mains du M23, qui détient également la ville de Sake.
Les forces armées régulières [FARDC] sont encore stationnées au Sud de Sake, « entre Minova et Kalehe sur la route de Bukavu », selon Rigaud, qui rappelle que « le prochaine objectif militaire de la rébellion est clairement affiché depuis quelques jours : la prise de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu ».
La chute de Bukavu, après celle de Goma le 20 novembre, menacerait très sérieusement le régime de Joseph Kabila.
« La bataille que se livrent en ce moment les rebelles et l’armée loyaliste le long du lac Kivu est donc décisive », commente encore Rigaud sur Afrikarabia.
Jeudi dernier (22 novembre), Colette Braeckman signalait que le M23 avait connu un revers à Sake, où il combattait « les forces gouvernementales alliés à des groupes Mai Mai ». Cependant, à ce jour, selon nos informations, les troupes du M23 tiennent bien Sake.
Perspectives
Alors que la MONUSCO semble ne pas vouloir s’engager militairement dans ce conflit aux côtés des forces régulières congolaises, Kabila pense-t-il pouvoir compter sur l’aide des groupes armés présents au Kivu (et notamment les Mai Mai) pour tenir militairement le M23 en échec ?
C’est un pari risqué, alors qu’on apprend aujourd’hui que le colonel Albert Kahasha, qui s’était rendu aux FARDC en compagnie de plusieurs chefs miliciens des Raïa Mutomboki** et des Nyaturale le 13 novembre dernier [10], vient à nouveau de faire défection au Sud-Kivu.
A moins que le chef d’état congolais ne mise sur une internationalisation du conflit, alors que selon la journaliste du Soir il apparaît que les pays de la SADCC (Conférence des Etats d’Afrique australe) n’entendent pas rester indifférents face aux développements de la situation au Kivu et au risque de déstabilisation à Kinshasa et « que des pays comme l’Angola ou le Zimbabwe auraient accéléré des plans d’intervention directe ». Et Colette Braeckman ajoute que « cette internationalisation de la guerre aurait fait reculer la région d’une décennie, au temps où six armées africaines s’affrontaient en terre congolaise »...
Le refus de Joseph Kabila d’entamer les négociations avec le mouvement rebelle semble ainsi laisser penser qu’il estime pouvoir empêcher le M23 de s’emparer de Bukavu et des autres villes de la région.
Et bien sûr, empêcher le mouvement rebelle de se mettre en route pour Kinshasa.
Mais à quel prix...
Le M23
Le Mouvement du 23 mars est majoritairement composé de mutins des Forces armées de la RDC (FARDC), dont beaucoup sont d’anciens membres du CNDP de Laurent Nkunda.
Ces hommes, intégrés dans l’armée congolaise après la signature de l’accord du 23 mars, ont fait défection de l’armée et repris les armes en avril dernier, accusant le gouvernement congolais de n’avoir pas respecté les termes de cet accord.
Plus d’information sur le mouvement du M23 sur leur site internet : www.m23mars.org
* : de nombreux sites internet et médias congolais auront affiché leur indignation concernant le fait que cette déclaration des états membres de la CIRGL estime « légitimes », dans ce communiqué, certaines des demandes et revendications du M23.
Nous laissons ici à chacun le soin de se pencher sur la légitimité des revendications du M23 (voir ci-dessus : « Les revendications du M23 »).
** : Il existe huit groupes armés principaux opérant dans le Nord et le Sud Kivu : ADF-NALU, FDLR, M23, Maï-Maï Nyatura, Maï-Maï Yakutumba, Raia Mutomboki, Sheka, UPCP, et d’autres groupes Maï-Maï ainsi que de nombreux groupes d’autodéfense et des acteurs armés de plus petite taille.
Illustration : Troupes du M23, images HRW.
Safari collabore au collectif Ad Nauseam.
« Nous n’avons rien appris, nous ne savons rien, nous ne comprenons rien, nous ne vendons rien, nous n’aidons en rien, nous ne trahissons rien, et nous n’oublierons pas. »
[1] « M23 to stop all war activities and withdraw from Goma. »
[2] « (...) to listen, evaluate and resolve the legitimate grievances of M23. »
[3] « M23 to withdraw from current positions to the ground of tactical importance not less than 20km from Goma town within 2 days. »
[4] « stop talk of overthrowing an elected Government. »
[5] « MONUSCO to occupy and provide security in the neutral zone between Goma and the new areas occupied by M23. »
[6] « Neutral International Force »
[7] À la suite du référendum d’autodétermination organisé du 9 au 15 janvier 2011, le Soudan du Sud a fait sécession le 9 juillet 2011, se séparant de la République du Soudan, qui l’a aussitôt reconnu, mais des litiges subsistent quant au tracé définitif de la frontière. Les pays limitrophes du Soudan du Sud sont le Soudan (au nord), l’Éthiopie (à l’est), le Kenya, l’Ouganda et la République démocratique du Congo (au sud) et la République centrafricaine (à l’ouest). (source Wikipedia)
[8] il se sera fait représenter par sa ministre des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo.
[9] nous tenons à préciser ici que nous ne saurions légitimer une grille d’analyse « ethnique », quand bien même elle est avancée par les mouvements racistes opérant au Kivu, comme par ceux qui leur répondent - une analyse détaillé de la question devrait être l’objet d’un prochain article (Nda)
[10] le colonel dissident avait promis que ses hommes allaient bientôt rejoindre les FARDC
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