Usurpations identitaires : Autochtones à la place des Autochtones

12 août 2025 | Miriam Hatabi

Dans l'Est-du-Québec et ailleurs, dès les années 1980, mais de façon marquée à partir des années 2000, des groupes de chasseurs et de défense des droits des blancs se rassemblent pour se constituer en organisations métisses. Ironiquement, se réclamer d'une ascendance autochtone est pour eux un moyen de militer contre l'avancement des droits territoriaux des Autochtones, comme le montre l'exemple du mouvement de réaction envers les avancées politiques des Innu·es/Ilnu·es [1].

Quand on pense aux faux Autochtones, il est probable qu'on pense d'abord aux nombreuses personnalités publiques dont l'ascendance autochtone a été démentie par des enquêtes journalistiques dans les dernières années. La plupart du temps, ces faux Autochtones (ou « pretendians ») s'identifient comme tel·les sur la base d'un récit familial ou en raison de la présence, dans leur arbre généalogique, d'une lointaine ancêtre qui était (ou pas vraiment) autochtone.

Sans être nécessairement réactionnaires, il est possible de présumer que les actions de certain·es faux Autochtones sont une réaction, à l'échelle individuelle, à la création de programmes et d'initiatives à l'intention des peuples autochtones. Il s'agit d'un détournement frauduleux de ressources financières (comme des bourses d'études ou des prix), d'occasions d'avancement de carrière et d'admissions universitaires aux dépens des membres des Premières Nations, des Métis et des Inuit auxquel·les ces ressources et ces opportunités sont destinées.

L'artiste, cinéaste et militante atikamekw nehirowisiw Catherine Boivin dénonce souvent les faux Autochtones et témoigne du fait que la nation w8banaki dans laquelle elle est établie compose avec de fréquentes tentatives de fraude par de faux Abénakis. La militante raconte être parfois la cible d'intimidation par des personnes qui se prétendent Autochtones et qui réagissent à ses dénonciations de leurs pratiques d'usurpation identitaire et culturelle.

L'anthropologue Philippe Blouin nous fait aussi remarquer que la Meute et Storm Alliance, deux groupes d'extrême droite, instrumentalisent de l'imagerie autochtone comme la patte de loup, le drapeau de la confédération haudenosaunee et celui de la Mohawk Warrior Society à des fins politiques xénophobes. Pour mieux s'opposer à l'accueil de migrant·es, la Meute avance que tout·e Québécois·e de deuxième génération est Autochtone au même titre que les membres des Premières Nations.

Mais au-delà de la « simple » usurpation identitaire individuelle, il existe des regroupements de faux Autochtones qui se mobilisent de manière plus proprement réactionnaire contre l'avancement des droits des Autochtones.

L'usurpation identitaire organisée

Depuis le début des années 2000 [2], des organisations de faux Métis naissent de part et d'autre du Québec. Bien qu'ils se réclament du même statut que celui des Métis de l'ouest des Grands Lacs et de Sault Ste. Marie, ces regroupements conçoivent souvent le fait métis comme le produit d'une simple ascendance personnelle mixte, et non comme le fait d'appartenir à une communauté métisse culturellement distincte [3]. Les membres de ces organisations se définissent comme métissé·es en raison de leur ascendance « mixte » canadienne-française et innu·e, mi'kmaw ou w8banaki, par exemple.

Toutefois, dans la majorité des cas, ces traces généalogiques autochtones remontant au XVIIIe siècle sont très minces et monnayées à mauvais escient. Les travaux de Darryl Leroux, professeur en science politique à l'Université d'Ottawa, montrent qu'en général, l'arbre généalogique des membres de ces regroupements ne présente qu'une seule ancêtre autochtone ou dite autochtone. Qu'à cela ne tienne : cette seule ancêtre suffit à intégrer ces regroupements – tant qu'on s'acquitte des frais d'adhésion, bien entendu.

Pourquoi donc se regrouper sur la base d'une ascendance mince et s'identifier, du jour au lendemain, comme Métis ?

Légitimer la réaction

Au début des années 2000, les conseils de bande de Mashteuiatsh, Pessamit, Essipit et Nutashkuan négocient l'Approche commune, une entente de principe en matière de revendications territoriales avec Québec et Ottawa, qui devait mener à la signature d'un traité parfois comparé à la Convention de la Baie-James et qui sera éventuellement connu sous le nom de Traité Petapan.

Face à l'avancement des négociations, des membres de groupes de défense des droits des blancs et des opposant·es à l'Approche commune et aux revendications territoriales des Innu·es, dont la Fondation équité territoriale et l'Association pour le droit des blancs, s'organisent pour dénoncer ce qui, à leurs yeux, menaçait l'existence de la « communauté canadienne-française ». Selon eux, le traité était un moyen pour les Innu·es de prendre le contrôle de territoires qui appartiennent aux Blancs, allant parfois jusqu'à comparer la situation des Québécois·es de la région à celle des Palestinien·nes en territoires occupés par Israël.

Selon les recherches de Darryl Leroux, ce sont ces mêmes individus – qui ne s'identifient comme Métis qu'à partir de 2005, après la signature de l'Approche commune entre les conseils de bande innus, Québec et Ottawa – qui fonderont la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan. Leur stratégie, face aux « menaces » de pertes de territoires et de droits au profit des Innu·es, et devant leur incapacité à intervenir dans les négociations en tant que non-autochtones, est de devenir Autochtones [4].

En plus de chercher à donner une plus grande légitimité à leurs oppositions aux droits innus, les fondateurs de la Communauté métisse cherchent à obtenir des droits autochtones protégés par la constitution, en l'occurrence des droits de subsistance par la chasse et la pêche. Au moment de rédiger ce texte, le site Web de l'organisation disait compter plus de 5000 membres, mais l'organisation métis, comme les autres au Québec et dans les provinces maritimes, n'est pas reconnue par Ottawa.

D'autres organisations de chasseurs ailleurs au Québec ont aussi usé de cette stratégie de réaction à l'avancement des droits territoriaux de communautés autochtones. C'est le cas de la Nation Métis du soleil levant en Gaspésie, qui est née pour s'opposer à un projet de création d'une pourvoirie administrée par la nation mi'kmaw de Gesgapegiag. À deux occasions, en réponse à la pression exercée par la Nation Métis du soleil levant, Québec a réduit les frais d'entrée à la pourvoirie.

Les petites mains réactionnaires du colonialisme

Les analyses de Darryl Leroux montrent l'absurdité et la dangerosité des récits promus par ces faux Métis, qui servent à la fois à donner de la légitimité à leurs revendications territoriales, de chasse et de pêche, et à miner la légitimité des Autochtones sur ce même territoire. En particulier, un discours véhiculé par les membres de la Communauté métis du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan voudrait qu'eux, en tant que Métis, seraient des « Autochtones plus authentiques » que les Innu·es pour avoir refusé la vie des réserves, en plus d'avoir lutté pour leur liberté, au prix d'une « invisibilisation historique » de laquelle ils se libéraient enfin.

Après s'être dits Autochtones, puis s'être dits de meilleurs Autochtones que les Innu·es, et finalement avoir avancé que les Innu·es sont, tous comptes faits, eux aussi « de simples » Métis, ces organisations et les « anciens » militants pour les droits des Blancs et contre les droits des Innu·es ont finalement fait la promotion de la thèse disparitionniste. Cette thèse veut que les « vrai·es » Innu·es seraient disparu·es après le contact avec les Européens et que les seul·es Autochtones qui existent encore à ce jour sur la Côte-Nord et au Saguenay–Lac-Saint-Jean sont eux, les « Métis ».

Sans en douter, diffuser cette théorie est utile à qui veut faire obstacle à l'avancement des droits territoriaux des Innu·es et à leur autodétermination.

Comme le note Mathieu Arsenault, professeur d'histoire à l'Université de Montréal, ce type de discours sert à renforcer le projet colonial en donnant de la légitimité à l'occupation territoriale de la société dominante et à la dépossession des Autochtones : « À partir de ce récit, on affirme que la population coloniale, au même titre que la population autochtone, entretient une relation organique avec le territoire ». De l'aveu même de dirigeants de la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan dont les témoignages ont été analysés par Darryl Leroux, devenir « Métis » était « la voie politique la plus stratégique pour eux en tant qu'opposants aux droits des Innus dans la région ».

Si l'État colonial est le principal agent de vulnérabilisation et de précarisation des Premiers Peuples, il ne faut pas oublier que ses structures juridiques et politiques peuvent être autant d'outils employés par des organisations de la société civile pour faire de l'obstruction politique.


[1] La graphie « Ilnus » est celle privilégiée par les Pekuakamiulnuatsh, les Ilnu·es du Lac-Saint-Jean. Pour faciliter la lecture, j'utilise seulement « Innu·es » dans la suite du texte.

[2] Cela s'explique par la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Powley contre Canada, qui a reconnu en 2003 les droits des Métis de chasser pour se nourrir, en plus de créer un processus d'identification juridique des Métis. Sur le site Web du gouvernement du Canada, on peut lire « le terme Métis, à l'article 35 [de la Constitution], n'inclut pas toutes les personnes ayant un patrimoine mixte autochtone et européen. Il désigne plutôt un groupe distinct de personnes qui, en plus de leur ascendance mixte, ont développé leurs propres coutumes et une identité de groupe distincte de celle de leurs ancêtres indiens [sic] ou inuits et européens ».

[3] Une confusion subsiste parfois entre le terme Métis, désignant le peuple métis des Prairies et de l'Ontario, et le fait d'être « métissé·e », né·e de parents d'origines différentes. Voir la note précédente pour plus de précisions sur la reconnaissance juridique du peuple métis. Il est à noter que la majorité des historien·nes s'entendent pour dire qu'une telle nation n'existe pas à l'est des Grands Lacs.

[4] Ces organisations n'ont pas la reconnaissance d'Ottawa en tant que communauté métisse au sens de l'arrêt Powley.

OUVRAGES CITÉS

Philippe Blouin, « Part of the Landscape : Quebecois Nationalism and Indigenous Sentience », dans Sentient Ecologies, Xenophobic Imaginaries of Landscape, dirigé par Alexandra Coţofană and Hikmet Kuran, Berghahn Books, 2023, 266 p.

Darryl Leroux, Ascendance détournée : quand les Blancs revendiquent une identité autochtone, Sudbury, Prise de parole, 2022, 349 p.

Mathieu Arsenault, « Historiographie d'une histoire commune : le temps des origines et la décolonisation de l'histoire du Québec », dans Québécois et Autochtones. Histoire commune, histoires croisées, histoires parallèles ?, dirigé par François-Olivier Dorais et Geneviève Nootens, Boréal, 2023, 280 p.

Illustration : Alex Fatta

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