La plus célèbre « sans-papiers » de France
« participation (...) à l’élaboration et à la préparation de massacres sur une base ethnique »
La veuve du président Habyarimana est toujours « sans-papiers », soit sans titre de séjour, en France.
Le Conseil d’Etat a de nouveau rejeté une demande déposée par l’ancienne Première dame du Rwanda, Agathe Kanziga, concernant la procédure qui l’oppose au Préfet de l’Essonne, celui-ci ayant refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Depuis bientôt seize ans [1], Agathe Kanziga vit sans-papiers en France, à Courcouronnes (Essonne), et s’est vue refuser l’asile politique, dont sa première demande remonte à la fin avril 2004, d’abord par l’OFPRA, ensuite par la Commission de Recours des Réfugiées, décision confirmée par deux fois par le Conseil d’État en raison des présomptions pesant sur elle quant à ses responsabilités à la tête du groupe ayant préparé et planifié le génocide des Tutsi, en 1994, au Rwanda.
Agathe Kanziga aura été exfiltrée en France par l’armée française, dans le cadre de l’opération Amaryllis, parmi les premières personnes évacuées du Rwanda pendant le génocide, à la demande de François Mitterrand. Le président français aura également ordonné le versement d’une « aide d’urgence pour les réfugiés rwandais » au seul bénéfice de celle qui est présentée comme membre de l’« Akazu », le premier cercle du pouvoir ethniste qui a planifié le génocide des Tutsi, en 1994.
Ainsi, en France, dès octobre 2009, la Commission de recours aux réfugiés avait pris « acte de la réalité de son départ du pays le 9 avril 1994, diverses indications révèlent également ses interventions, depuis l’étranger, dans les affaires intérieures rwandaises, en liaison continue avec des personnalités du gouvernement intérimaire, impliquées dans le génocide, et sa tentative de mettre à leur service ses accointances au sein de la communauté internationale », ajoutant que « ces développements permettent dès lors d’établir la réalité de l’influence prépondérante de l’intéressée dans le fonctionnement du pouvoir politique tel qu’il s’est réellement exercé au Rwanda de 1973 à 1994, notamment par un rôle de coordinatrice occulte de différents cercles politique, économique, militaire et médiatique, de souligner également la réalité de son positionnement prépondérant au sein de ce qui a été désigné comme l’Akazu, au sens d’une confrérie fondée sur des liens familiaux, d’affaires ou d’intérêts impliquée dans l’exercice autoritaire du pouvoir par l’intermédiaire de structures de violence organisée, de déterminer enfin sa participation, au sein de ces différentes structures, à l’élaboration et à la préparation de massacres sur une base ethnique d’avril à juillet 1994 ».
En octobre 2009, c’est au tour du Conseil d’Etat de refuser la demande d’asile qu’elle avait présentée cinq ans auparavant, arguant qu’il y avait des « raisons sérieuses de penser » à son implication « en tant qu’instigatrice ou complice à la commission du crime de génocide, entendu au sens des stipulations de l’article 1er, F, a) de la convention de Genève » au Rwanda.
Agathe Kanziga fera ensuite une demande de titre de séjour à la Préfecture de l’Essonne, titre de séjour qui lui sera refusé le 4 mai 2011 et motif pour lequel le Conseil d’État aura rendu un arrêt le 5 juin dernier.
Mais en plus de ces procédures administratives liées à l’obtention du statut de réfugié ou d’un titre de séjour, des procédures judiciaires ont été lancées contre elle en France et au Rwanda : le 13 février 2007, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda [CPCR] déposait une plainte contre Agathe Kanziga et se portait partie civile, ce qui donnera lieu à l’ouverture d’une information judiciaire en mars 2008. L’année suivante, le Rwanda lancera un mandat d’arrêt international contre Mme Kanziga, aboutissant à une demande d’extradition refusée par la France en septembre 2011...
Ci-dessous, en quelques dates [2], le rappel des procédures liées à Agathe Kanziga en France :
Entre procédures judiciaires (plainte déposée par le Collectif des Paris Civiles en février 2007 et demande d’extradition - refusée fin septembre 2011- suite au mandat d’arrêt international émis par le Rwanda pour « génocide et crimes contre l’humanité ») ;
et procédures administratives liées à la régularisation de son séjour en France, la préfecture de l’Essonne ayant refusé de lui délivrer un permis de séjour en mai 2011 alors que lui sera refusé quelques années plus tôt l’asile politique.
Pour l’heure, suite à l’arrêt du Conseil d’Etat, Mme Kanziga est encore en séjour irrégulier sur le sol français.
Sera-t-elle expulsée ? Jugée ? Extradée ?
Son sort est maintenant entre les mains du Ministère français de l’Intérieur, qui devrait prendre la décision finale [3].
Agathe Kanziga Habyarimana en quelques dates
1942 : Naissance dans la préfecture de Gisenyi.
5 juillet 1973 au 6 avril 1994 : femme de Juvénal Habyarimana, alors président de la République du Rwanda, et de ce fait Première dame du pays.
6 Avril 1994 : exflitration vers Bangui, puis vers la France, d’Agathe Kanziga, veuve du Président Juvénal Habyarimana, dans le cadre de l’opération Amaryllis.
Octobre – Novembre 1994 : Agathe Kanziga quitte la France pour le Zaïre où elle assiste aux obsèques de son mari, à Gbadolite, puis séjourne en Afrique avant de gagner le Gabon.
1998 : installation en France, où elle est « sans titre de séjour ».
Juillet 2004 : Agathe Kanziga présente une demande d’asile comme réfugiée à l’OFPRA.
4 janvier 2006 : l’OFPRA rejette la demande. Agathe Kanziga fait alors appel à la Commission de Recours des Réfugiés [CRR].
25 janvier 2007 : CRR rejette son appel.
13 février 2007 : le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda [CPCR] dépose une plainte contre Agathe Kanziga.
16 mai 2007 : Le parquet d’Evry ouvre une information judiciaire contre X pour « complicité de génocide et de crime contre l’humanité », après la plainte déposée contre Agathe Kanziga Habyarimana.
13 mars 2008 : après le dessaisissement du parquet d’Evry, ordonnance de dessaisissement au profit de Paris et ouverture d’une information judiciaire.
16 octobre 2009 : le Conseil d’Etat rejette le recours en contestation. Agathe Kanziga se voir refuser le statut de réfugié.
Octobre 2009 : le Rwanda lance un mandat d’arrêt international contre Agathe Habyarimana Kanziga.
Décembre 2009 : Agathe Kazinga effectue une demande de permis de séjour auprès de la Préfecture de l’Essonne.
2 mars 2010 : Agathe Kazinga est arrêtée mais très vite relâchée.
4 mai 2011 : la préfecture de l’Essonne refuse de lui délivrer un permis de séjour.
6 octobre 2011 : Le tribunal administratif de Versailles annule le décret du 4 mai 2011 et demande au préfet de délivrer à Agathe Kanziga un permis de séjour d’un mois au titre « de la vie privée et familiale ».
28 septembre 2011 : La France refuse d’extrader Agathe Kazinga vers le Rwanda.
21 décembre 2012 : Arrêt de la Cour administrative de Versailles, qui réitère sa demande au Préfet de l’Essonne.
4 juin 2013 : Le Conseil d’Etat annule l’arrêt du 21 décembre 2012 de la cour administrative d’appel de Versailles et rejette le jugement du 6 octobre 2011 du tribunal administratif de Versailles, ainsi que la demande présentée par Mme Kanziga devant le tribunal administratif de Versailles et ses conclusions présentées devant le Conseil d’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative [4].
A lire :
ci-dessous, Le procès d’Agathe H, de Benjamain Sehene, La Nuit rwandaise n°3 (2009) ;
sur ce site :
Agathe Habyarimana interpellée en France - La veuve Habyarimana va-t-elle être extradée vers Kigali ? ;
Agathe Habyarimana doit être jugée en France - communiqué de La Nuit rwandaise
Documents
Sources :
Base juridique du Conseil d’état - décision n° 366219 (conseil-etat.fr).
Arrêt 366219 (Conseil d’État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 05 juin 2013, 366219)
Arrêt 11VE03720 (Cour administrative d’appel de Versailles, 2ème chambre, 06 décembre 2012, 11VE03720)
Arrêt 311793 (Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 16 octobre 2009, 311793)
Rwanda : Top French Court Rejects Agathe’s Asylum Request - article en anglais de James Karuhanga, du News Times, du 6 Juin 2013 (repris par AllAfrica).
Le procès d’Agathe H
Benjamain Sehene, La Nuit rwandaise n°3, avril 2009.
A lire
Gaëtan Sebudandi, Quand la France traîne les pieds face aux décisions de justice : le cas Agathe Habyarimana, La Nuit rwandaise n°7 (2013), p.43.
Retrouver le document du Conseil d’Etat :
http://www.conseil-etat.fr/fr/base-de-jurisprudence/ (lancer une recherche simple avec le n° 366219 sur la base de données des décisions (référence complète : Conseil d’État N° 366219ECLI:FR:CESSR:2013:366219.20130605 Mentionné aux tables du recueil Lebon)
Les décisions, ordonnances et avis contentieux du Conseil d’État sont communicables de plein droit en copie papier, sous réserve, dans certains cas, de l’effacement des noms des personnes concernées par l’affaire, ...
Source des documents :
Juricaf - La jurisprudence francophone des cours suprêmes
Juricaf est un projet de l’AHJUCAF, l’association des cours judiciaires suprêmes francophones,
réalisé en partenariat avec le Laboratoire Normologie Linguistique et Informatique du droit (Université Paris I). Il est soutenu par l’Organisation internationale de la Francophonie et le Fonds francophone des inforoutes.
Ilustration : Agathe Kanziga Habyarimana, site du CPCR
[1] après avoir résidé au Gabon, au Zaïre et au Kenya, Agathe Kanziga se serait installée en France en 1998.
[2] sources : CPCR, La Nuit rwandaise, New Times
[3] selon Alain Gauthier, interrogé par James Karuhanga du New Times, le 6 Juin 2013
[4] L’article 761-1 est relatif aux frais et dépens liés à la procédure.
Vos commentaires
Espace réservé
Seules les personnes inscrites peuvent accéder aux commentaires.