France : Assassinats légaux ?

Michel Sitbon - 11/01/2012
Image:France : Assassinats légaux ?

Non-lieux prononcés pour les meurtres de Luigi Duquenet et d’Ali Ziri…
« cent ans de ségrégation »...

Trois histoires de police, dans Le Monde d’aujourd’hui. La première, la plus récente, s’est produite à Clermont-Ferrand, ce 31 décembre.

Les « quartiers sensibles » étaient en état de siège, le ministre de l’Intérieur craignant la traditionnelle flambée de voitures de la Saint-Sylvestre.

Une patrouille de police approchant, Wissan El-Yamni, 30 ans, aurait lancé une pierre. Aussitôt s’engage la chasse à l’homme. Une brigade canine, plus trois à dix véhicules (selon les versions) sont rameutés pour trouver le lanceur de caillou. On ne sait pas trop ce qui s’est passé ensuite, mais le jeune homme a terminé à l’hôpital où il est dans le coma depuis plus d’une semaine. Avec de multiples fractures de côtes et faciales...

Une enquête a été confiée à la « police des polices » (l’IGPN), sous la supervision de deux juges d’instruction, et deux policiers ont même été nommément mis en examen.

Pourquoi deux ?

Ils ont été bien nombreux à participer à cette course poursuite… Si les coups ont été portés plus particulièrement par deux fonctionnaires, il est douteux qu’il n’y en ait pas quelques autres complices, incriminables au moins pour non assistance à personne en danger… Mais dès le départ, il faut que l’enquête soit biaisée…

*

On se souvient peut-être de la seconde de ces histoires.

C’était à l’été 2010. L’affaire Woerth bâtait son plein, et la côte d’impopularité du gouvernement comme du Président atteignait des sommets. Il fallait faire diversion. Ce jour-là, à Saint-Aignan, dans le Loir-et-Cher, des gendarmes étaient en embuscade lorsque passe une voiture avec à son volant Miguel Duquenet, et, à ses côtés, son jeune cousin, Luigi, 22 ans.

Un gendarme a tiré, Luigi est mort. Aujourd’hui tombe le non-lieu pour le gendarme, qui, selon le parquet, aurait fait un usage approprié de son arme… C’est son cousin, Miguel, le chauffeur, qui est en prison, accusé de « tentative d’homicide volontaire sur militaire »...

Souvenez-vous. Peu après des jeunes, « gens du voyage » comme Miguel et Luigi, s’en prenaient à une gendarmerie, et Sarkozy lançait la campagne anti-roms, lâchant tous les flics de France contre les centaine de campements illégaux qu’il fallait d’urgence expulser… et ne se gênant pas pour faire l’amalgame entre les roms de l’est, très récents émigrants, et les gitans de France, comme les Duquenet, présents sur le territoire depuis plusieurs siècles… On découvrait au passage la persistance du carnet de circulation imposés à ces « gens du voyage » depuis 1911.

On fêtait ainsi indignement cent ans de ségrégation. (Et, depuis, plusieurs demandes d’abrogation de ce carnet de circulation ont été repoussées par le Parlement de la République une et indivisible...)

Quelques jours plus tard, le Président prononçait le fameux discours de Grenoble, et aussitôt le Préfet Lambert était installé en Seine-St-Denis pour y organiser la chasse aux roms. Le ministre se fera alors même épingler par la commissaire européenne Viviane Reding pour une circulaire explicitement raciste, qui sera aussitôt annulée et remplacée par la même circulaire implicitement raciste...

Plus fort encore, mis en cause quelques temps plus tard pour cette campagne raciste d’Etat, Sarkozy-le-cynique n’hésitait pas à en accuser TF1… Avec un applomb amusant, il prétendra alors que cette campagne avait été artificiellement montée par la télévision et que ses propos à lui auraient été soigneusement mesurés. La gendarmerie incendiée n’aurait eu que « deux carreaux cassés », et les responsables de ces outrances estivales auraient été les journalistes de Télé-Bouygues. Ceux-ci supporteront alors de se laisser mettre en cause sans sourciller…

Or, que s’était-il passé ? Après l’exécution sans sommation de Luigi (que les gendarmes connaissaient bien, sachant parfaitement, au besoin, comment le retrouver), l’émotion avait été certes grande parmi les gitans du Loir-et-Cher, et au-delà.

Quelques temps plus tard, le Préfet du Loir-et-Cher revenait sur l’incident :

« L’examen des faits montre que la manifestation spontanée de colère s’avère être une opération de communication montée par deux familles de la communauté des gens du voyage avec la complicité de notre chaîne de télévision régionale, dont le seul but aura été de donner en spectacle des exactions pour les uns et de réaliser une opération commerciale en vendant les images aux chaînes nationales pour l’autre. »

Il ajoutait attendre sereinement qu’on vienne le poursuivre en diffamation…

Ce dernier aspect de l’affaire de Saint-Aignan sera escamoté y compris par les vigilants critiques des médias suite à la réaction corporatiste du Syndicat national des journalistes, qui n’osera poursuivre le Préfet, mais protestera formellement.

Comme on le comprend néanmoins aujourd’hui, il est probable que le Préfet se soit trompé sur un point : si des chaînes de télé s’étaient prêtés à encourager cette flambée de violence, ce n’était probablement pas seulement pour faire de belles images, mais bien pour permettre au gouvernement de lancer sa campagne raciste et sécuritaire.

Qui aura compris alors qu’on était à la veille de l’adoption de la Loppsi 2, la loi sécuritaire la plus monstrueuse que des politiciens autoritaires aient jamais osé enfanter ?

Luigi avait-il été tué « exprès » ?

Probablement pas, mais son assassinat avait bien servi à lancer cette grande opération de communication politique.

Que Sarkozy ose ensuite revenir sur cet épisode en dénonçant lui-même ledit montage dans une interview où les couches de mensonges successifs ne se comptent pas montre bien le degré de cynisme qu’il peut atteindre, sans complexes.

*

Troisième histoire du jour, un autre non lieu, pour une affaire qui aura moins soulevé les foules, mais que certains auront suivi de près. La victime, Ali Ziri, était un algérien à la retraite, âgé de 69 ans. C’est suite à un « contrôle musclé » qu’Ali Ziri était décédé.

L’« enquête » conclura qu’il aurait été victime d’un problème cardiaque attribuable à un excès d’alcool. Il faudra moult protestations et manifestations pour obtenir finalement une autopsie qui révèle que son corps était couvert d’une vingtaine d’hématomes. Même la Commission nationale de déontologie de la sécurité dénoncera le fait que la police avait fait alors un usage abusif de la force… Elle aurait pu tout aussi bien dénoncer le crime raciste : pour frapper ainsi sauvagement un homme âgé de 70 ans, il en faut de la haine accumulée.

La deuxième autopsie, réalisée par la directrice de l’institut médico-légal du quai de la Rapée, concluait à « un arrêt cardio-circulatoire d’origine hypoxique par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ».

On dispose même des images prise par la caméra de surveillance dans la cour du commissariat où l’on voit les flics se précipiter en grand nombre pour « extraire » Ali Ziri de la voiture de police lors de son arrivée. Images éloquentes. Il n’est nulle part dit que ce monsieur de 70 ans aurait été une force de la nature…

La Commission nationale de déontologie de la sécurité, qui a pu visionner l’ensemble du film, décrit comment « Ali Ziri est littéralement expulsé du véhicule (...), il est dans un premier temps jeté au sol puis saisi par les quatre membres, la tête pendante, sans réaction apparente, et emmené dans cette position jusqu’à l’intérieur du commissariat ».

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Michel Sitbon dirige les éditions de l’Esprit frappeur, Dagorno et les éditions du Lézard.

Il est le fondateur des journaux Maintenant, État d’urgence, Le Quotidien des Sans-Papiers et du site d’information Paris s’éveille.

Il est également l’auteur du livre « Rwanda. Un génocide sur la conscience » (1998).

Il est directeur de publication de « La Nuit rwandaise » et membre de l’association France Rwanda Génocide - Enquêtes, Justice, Réparation.

Michel Sitbon est également le porte parole du Collectif contre la Xénophobie et de Cannabis Sans Frontières - Mouvement pour les libertés.

 11/01/2012

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