Histoire du revenu d’existence

La rédaction - 17/08/2011
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Par Yoland Bresson

Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’idée du revenu d’existence provient de l’avion « Concorde ».

En 1971 commencent les études commerciales sur le « Concorde » techniquement prêt a relier Paris à New-York en gagnant trois heures de trajet. Il s’agit de déterminer le prix du transport permettant de garantir la rentabilité de l’avion. Un groupe de recherche franco-américain, Mathématica-Snecma est constitué à cette fin, réunissant des professeurs d’économie de l’Université de Princeton, ayant fondé la société de recherche Mathématica dirigée par Morgenstern, le grand spécialiste de la théorie des jeux et quelques enseignants chercheurs et universitaires français, dont je suis, en qualité de professeur d’économie, alors essentiellement économètre.

Pendant près de deux ans d’intenses recherches, nous nous sommes heurtés à l’impuissance des outils traditionnels de la micro-économie à appréhender efficacement le temps comme un bien économique, et la mesure du prix que les demandeurs potentiels étaient prêts à payer pour ce gain de trois heures sur un voyage Paris-New-York. Finalement le modèle que nous avons élaboré n’a que peu emprunté aux concepts micro-économiques habituels. Nous nous sommes préférentiellement appuyés sur des enquêtes qualitatives qui révélèrent un fait paradoxal : les revenus et particulièrement les bénéficiaires de hauts revenus susceptibles de devenir des clients du Concorde, dépendaient fort peu de leur contribution à la production de richesse, de la quantité de leur travail, pour simplifier. Au contraire, la corrélation était manifeste, incontestable, entre le temps disponible et le niveau de revenu. C’était ceux qui disposaient le plus de la maîtrise de leur temps et de son emploi, qui simultanément disposaient des ressources monétaires les plus élevées. Savoir et pouvoir allaient aussi de pair. Aucune théorie économique n’ avait jusqu’alors non seulement retenu ce qui apparaissait comme un paradoxe, mais en outre ne permettait de l’expliquer.

C’est à cette tache que je me suis dès lors attelé. Le « Capital-Temps » publié en 1977 donnait une grille de lecture de la mobilité sociale et de l’évolution des revenus individuels liées au temps disponible. Elle établissait une sorte de carte d’ « iso-revenus » conforme à la hiérarchie des fonctions ordonnées selon le temps disponible et qui dessinait l’avenir des revenus auxquels pourrait prétendre un individu, tout au long de sa vie, s’il restait dans la même catégorie.

Les revenus de départ, à l’entrée dans la vie active, sont ordonnés dans le même sens que les temps disponibles laissés par les fonctions dans lesquelles les individus sont engagés. Les revenus s’élèvent d’autant plus et d’autant plus longtemps que ce temps libre permet d’obtenir des promotions, d’accéder à des fonctions qui libèrent mieux du temps socialement contraint, à la condition évidemment de l’exploiter, selon son libre choix, à cette fin.

Le « Capital-Temps » n’apportait cependant qu’une justification, non pas une théorie rigoureuse, mathématiquement vérifiable. Il fallait trouver la loi théorique reliant revenu et temps disponible personnel. Cette loi de la « valeur-temps » a été, enfin, découverte et publiée dans la revue d’ « Economie Appliquée » (N° 2, 3) en 1981.

Et « L’Après -Salariat » parut en 1984. En conséquence de la loi de répartition des revenus établie, démontrée et vérifiée, fondée sur la valeur-temps, une conclusion s’imposait : « la valeur-temps est aussi le revenu minimum, le seuil de pauvreté à partir duquel l’individu est économiquement intégré, avec lequel il participe à la communication sociale. C’est le revenu minimum pour tout individu quel que soit son âge, et sa fonction dans une communauté économique homogène…Maîtriser l’évolution de la valeur du temps …c’est s’armer pour mener une politique économique lucide…c’est aussi, à condition que chacun perçoive cette allocation minimum, satisfaire la demande élémentaire de sécurité….Pour y parvenir il faut que la collectivité, par le biais de l’Etat, alloue périodiquement à tout citoyen économique, sans autres considérations que celle de son existence, l’équivalent monétaire de la valeur de l’unité de temps ». (page 150 de l’Après-Salariat, 1ère édition 1984).

La même année, sans aucun lien et par des voies d’analyse différentes, Philippe Van Parijs de l’Université de Louvain ( Belgique) propose dans un mémoire « l’Allocation Universelle ». Il est spécialiste de philosophie politique et conduit avec son équipe universitaire une réflexion sur la théorie de la Justice. L’allocation universelle est tout à fait identique dans son principe avec la conclusion de l’Après-Salariat, résultant, elle, d’une analyse économique de la répartition des revenus. Elle est conçue égale pour tous, inconditionnelle, et cumulable avec des revenus d’activité. Claus Offee, sociologue, lui, en Allemagne, aboutit au même résultat et propose un « Basic Inkommen ». Keith Roberts, en Angleterre, à partir d’une analyse des pratiques administratives de la protection sociale, conclut à l’introduction d’un « Citizen Income » parfaitement semblable, qu’il juge plus simple et plus efficace que la multiplicité des allocations conditionnelles. Hermione Parker en Irlande rejoint cette affirmation. Synchronicité étonnante !

Philippe Van Parijs reçoit, pour ces travaux, le prix du Roi Baudouin. Il a le mérite d’avoir découvert cette convergence et nous rassemble à Louvain pour en débattre. A l’issue de ce séminaire nous fondons le BIEN (Basic Income European Network) et décidons de nous retrouver tous les deux ans en congrès pour discuter de l’avancement de l’idée.

A Paris le professeur Henri Guitton, maître incontesté parmi les économistes français, maintenant membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, me contacte après avoir lu « l’Après-Salariat ». Il est enthousiaste : voilà des années qu’il bute sur les liens entre le temps et l’économie et m’assure que je viens d’ouvrir la voie à la solution. De plus, il vient de participer à Chantilly à un colloque sur « les nouveaux modes de vie » organisé par le mouvement catholique, et l’allocation inconditionnelle est pour lui la réponse aux interrogations qui ont présidé à l’organisation du colloque, ainsi qu’à l’évidente dégradation de notre modèle social de plus en plus impuissant avec la persistance du chômage à éradiquer la pauvreté et la précarité, qui ne vont cesser de s’amplifier. Nous sommes en total accord de pensée et décidons de créer un groupe de réflexion pour approfondir le sujet.

Le groupe se réunit d’abord à l’Université catholique de Paris, dans le prolongement du colloque de Chantilly avec certains de ceux qui y ont participé. Puis ensuite à l’ancienne Ecole Polytechnique où naît l’AIRE. Je me rappellerai toujours ce moment où après un long débat vers 19 heures, nous avons enfin décidé de nommer cette allocation inconditionnelle le REVENU d’EXISTENCE.

Revenu et non allocation, parce qu’un revenu est pour les économistes, une dotation reçue en contrepartie d’une participation à la création de richesses, tandis que l’allocation est une attribution d’assistance. Existence, parce qu’il s’agit d’attribuer ce revenu, parce qu’on existe et non pour exister. Que dès qu’on existe on participe à des échanges de temps, ou comme les bébés on les suscite par l’intermédiaire de leurs parents.

Que tout échange de temps est créateur de richesses que le support monétaire rend visible. Nous fondons une association pour l’instauration du revenu d’existence l’AIRE, dont le premier président est Henri Guitton à qui je succéderai à sa mort. Notre objectif est clair : il s’agit « d’instaurer » le revenu d’existence, c’est à dire de transformer concrètement notre modèle social et donc de propager l’idée, de l’exposer de la manière la plus claire, de faire effort de pédagogie afin que tout citoyen la comprenne, se l’approprie, change sa représentation de l’économie et de la société, que la politique en fasse un projet collectif. Ce travail sur l’idée, sur les objections qu’elle suscite, impose la poursuite de recherches plus scientifiques dont nous amorçons le programme.

Depuis, que de chemin parcouru !

D’abord, nul n’a plus de doute que celui qui élabore une nouvelle théorie. N’y a t-il pas une erreur cachée dans le raisonnement ou dans la modélisation ? Une erreur de calcul ne s’est elle pas glissée subrepticement, malgré les multiples vérifications ? Le résultat n’est-il pas un artefact ? Est-il vraiment solide ?…A cet égard l’accord d’Henri Guitton a été déterminant, ainsi que celui d’autres de mes collègues économistes. Mais le plus grand soulagement me vint de l’AIRE. Un membre nous rejoint : François Perdrizet, polytechnicien, haut fonctionnaire. Il ne me connaissait pas, moi si. Nous étions en effet ensemble au Lycée Lakanal, en première, mais lui très brillant élève, obtient un prix au concours général en mathématique, il devient une vedette du lycée, et par rapport à lui je n’étais qu’un lycéen anonyme. Or, un crayon en main, il se prend à refaire tous les calculs de l’Après-Salariat. Il arrive à l’AIRE, fort de cette vérification.

Autre étape, pour moi inoubliable. Pour beaucoup de ceux qui adhéraient à l’idée d’un revenu d’existence, elle apparaissait cependant comme utopique, irréalisable dans un avenir proche. Ils la repoussaient dans un futur éloigné. Le montant tel qu’il ressortait de la théorie, en quelque sorte objectif, aujourd’hui de l’ordre de 300€ et plus à verser inconditionnellement au 63 millions de français paraît astronomique. Comment donc penser instaurer vraiment le revenu d’existence ? Beaucoup de ses plus chauds partisans le croyait impossible, surtout quand on ne cesse d’agiter la dette de l’Etat, la fiscalité déjà si lourde et la rareté de la monnaie. Ce doute me gagnait, jusqu’à ce que me vint l’éclair de la solution. Je sais quand et où il me traversa comme une révélation : en voiture, dans un embouteillage ! depuis je ne peste jamais en cette circonstance, au contraire c’est souvent là, arrêté que je réfléchis le mieux.

Il serait trop long de raconter dans le détail toutes les péripéties, toutes les rencontres fécondes, toutes les objections qui nous ont fait progresser, tous les colloques et conférences, toutes les publications ainsi que toute la vie de l’AIRE. De même que tous les groupes, et institutions qui nous ont soutenu et contribué à la diffusion de l’idée, je risquerais d’en oublier et ce serait regrettable, tant sont nombreux ceux qui ont participé à sa promotion. Sur le fond cependant je retiendrai comme essentiel :

Nous avons découvert que cette idée n’était pas vraiment neuve. En France, déjà Duboin bien que différemment formulée l’avait proposée, ainsi qu’A. Marc avec « Le revenu garanti ». Le major Douglas aussi aux USA et d’autres plus nombreux qu’on ne pouvait le pressentir aux Pays-Bas par exemple. Les historiens du BIEN ont exhumé ce que l’on peut, pour l’instant, considérer comme la plus ancienne proposition semblable : celle de Thomas Paine, le député franco-américain déclarant à la Convention en 1792, en substance : liberté-égalité-fraternité ne sera vraiment réalisé que lorsque chacun recevra inconditionnellement de quoi, au minimum se nourrir.

En croisant la théorie de la valeur-temps et les modèles modernes dits de croissance endogène, on comprend le sens concret et fondamental du revenu d’existence. La croissance s’appuie sur un capital matériel et humain collectif accumulé qui permet au capital humain présent de créer de la richesse, mais en retour l’activité économique présente renforce le capital humain social. Tout revenu courant issu de l’activité comporte deux parts : la rente issue du capital matériel et humain social et le résultat dû à l’effort immédiat. Cette rente commune est le revenu d’existence, également partagée entre tous. La valeur-temps, la mesure du revenu d’existence, est la vraie découverte, car elle évalue précisément ce qui restait inconnu : le montant de ce qui provient du capital matériel et humain social.

Le revenu d’existence et son fondement théorique et doctrinal apportent une représentation de l’homme en société qui harmonise solidairement l’individuel et le collectif, la liberté et l’égalité.

L’AIRE continue patiemment son œuvre car elle n’est pas achevée. Déjà se prépare un au-delà du revenu d’existence dont la parution prochaine d’un livre intitulé « L’Erreur de Marx » tracera les contours. Mais dès à présent nous pouvons dire que nous voici prêts à instaurer concrètement le revenu d’existence, non seulement en France, ou dans les pays européens, mais dans le monde entier. D’ailleurs le BIEN, en conservant son acronyme a décidé lors de son dernier congrès de Barcelone en 2005, vingt ans après sa naissance, de se traduire par Basic Income Earth Network. Nous pouvons déclarer immédiatement possible l’Abolition de l’Extrême Pauvreté pour tout être humain sur la Terre. Le rêve va devenir réalité.

Yoland Bresson
Janvier 2007

Le site de l’AIRE


Le Revenu d’Existence : une réforme de société

Si le Revenu d’Existence semble n’apporter qu’un modeste supplément de revenu à une faible tranche de la population, il initie pourtant l’une des réformes de société les plus essentielles à plus d’un titre.

En effet :

• Il modifie de façon radicale la distribution primaire des revenus. Une part de l’ordre de 15% à 20% du PIB est distribuée à chacun, du seul fait de son existence, sans autre justification. C’est une réforme fondamentale dans l’organisation des transferts sociaux.

• De par sa simplicité et sa transparence il évite tout passe-droit, limite la bureaucratie, met fin au maquis inextricable des diverses aides à la personne.

• Il ne constitue en aucune manière une désincitation au travail puisque, à l’inverse des minima sociaux actuels, toute activité rémunérée procure un revenu supplémentaire.

• Il donne à chacun l’assurance d’un revenu minimum garanti, en toutes circonstances, quels que soient les aléas de la vie, à une époque où le plein emploi ne peut être assuré tout au long de la vie.
Dans les circonstances présentes, en ce début du 21ème siècle, l’instauration du Revenu d’Existence s’impose tant pour des raisons sociales qu’économiques.

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 17/08/2011

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