Justification idéologique de l’esclavage et de la colonisation
La négation de l’égalité en droit des êtres humains

C’est au sein du système esclavagiste que nous trouvons la genèse du racisme.

D’après Éric Williams, « L’esclavage n’est pas le fruit du racisme : c’est plutôt le racisme qui fut la conséquence de l’esclavage. »

On peut lire dans un récent rapport de l’EUMC (Rapport annuel 2000) que « les principales formes de discrimination dont ont été victimes les migrants et les groupes minoritaires sur le marché du travail sont l’exclusion du marché du recrutement, une faible rémunération en moyenne, un taux décroissant de participation à la vie active et un risque accru de chômage. Dans tous les États membres de l’UE, le taux de chômage en général est proportionnellement plus élevé chez les migrants et les groupes minoritaires que dans la population majoritaire. »

Bon, rien de nouveau...

Le rapport annuel 2000 de l’EUMC dénonce également les augmentations substantielles des niveaux de violence raciale, d’attaques antisémites, de menaces et d’intimidations racistes signalées en France, en Allemagne, en Espagne, en Suède et au Royaume-Uni. L’émeute qui a eu lieu au début de l’année 2000 dans la localité d’El Ejido, en Espagne, au cours de laquelle des centaines de villageois espagnols se sont attaqués à la population immigrée d’origine marocaine, a été l’une des plus graves manifestations de violence raciale de cette année.

« Les actes continus d’agression et de discrimination dont sont victimes les minorités ethniques dans de nombreux États membres montrent que la lutte contre le racisme et la xénophobie est plus importante que jamais. Mais celle-ci requiert un effort commun de la part de tous les segments de la société afin de combattre tant directement qu’indirectement la discrimination raciale et d’œuvrer pour davantage d’égalité », déclare Beate Winkler, directrice de l’EUMC.

Les phénomènes de discrimination raciale ne sont pas nouveaux. Tahar Ben Jelloun, dans Hospitalité française (Seuil, 1984) dénonçait déjà les vagues d’assassinats, les « ratonnades » et autres « passages à tabac » d’immigrés (parfois le fait par les forces de l’ordre !) qui assombrirent la France des années 80.

Au-delà de cet accablant constat, dans cette Europe moderne qui regroupe des états qui se veulent des modèles d’humanité, ardents défenseurs des droits de l’Homme (bien que pour les membres du gouvernement français « droit de l’hommiste » soit quasiment devenu une insulte !) , il nous faut essayer de remonter aux sources de ce malaise diffus qui oppose une partie des populations entre elles à partir d’appartenances raciales directement héritées des heures les plus sombres de l’ethnocentrisme « gobinien » qui justifiait en son temps les massacres coloniaux et la traite esclavagiste.

Figure du nègre et de l’arabe : Un racisme colonial

« Les colonisés, héritiers des farouches Sarrasins ou Maures, sont les représentants d’un monde de solitude et de sauvagerie. » Christiane Villain-Gandossi

Afin de mieux comprendre les stéréotypes que peut véhiculer la société française sur les cultures africaines il convient de remonter à l’époque coloniale.

En effet, le racisme pour les africains et les peuples colonisés en général était la justification idéologique de la colonisation européenne et de la traite des noirs. « Avatar philosophique d’une science biologique naissante », l’idéologie raciste est une biologisation de la pensée sociale, encore inconnue au 18ème siècle . Les doctrines racistes à la française de Gobineau, Vacher de Lapouge et Le Bon sont apparues au XIXe siècle . Elles sont fondées sur la croyance en la transmission héréditaire de caractères psychiques attribués à des populations que l’on distingue par des critères divers (couleur de peau, religions, langue, cultures, morphotype, activité économique).

La propagande coloniale, autour de l’Empire et de l’Union Française, principale activité de l’AFOM (Agence de la France d’Outre-mer) est très active jusqu’aux années 1950, dans les journaux (France Outre-mer, Dakar AOF, AOF Magazine, Togo Cameroun, ...), les brochures, les manuels scolaires, la publicité (Y’a bon !), la bande déssinée (Tintin et Milou au Congo, Badaboum chez les Bouffetout, Mickey l’Africain, Bibi Fricotin, Tarzan l’Arabe blanc,...) au cinéma (Prisonniers de la Brousse de Willy Rozier, Le bled de Jean Renoir en 1929, L’Homme du Niger de Baroncelli en 1939, etc...), ou encore dans les romans. Mais c’est sans doute avec les zoos humains et les mises en scènes des « spectacles zoologiques » que l’imaginaire des Français a été le plus imprégné de la nécessité de notre mission civilisatrice envers les sauvages Africains.

Le plus visité fut sans doute construit lors de la Grande Exposition Coloniale Internationale de Paris en 1931 (30 millions de tickets vendus en 6 mois) ou pour que les visiteurs en aient pour leur argent les organisateurs demandaient à des Kanaks de jouer les anthropophages...Le but de toute cette propagande : Affirmer aux yeux de tous la supériorité originelle de la race blanche sur les races inférieures et donc son devoir de civilisation, par le biais de la colonisation.

Ainsi depuis le début de la colonisation, on retrouve lorsqu’il s’agit de l’Afrique cette conception « d’identités communautaires stéréotypées, d’identifications ethniques héréditaires ». Ne parle-t-on pas encore de nos jours sans sourciller de « luttes ancestrales », de « guerres tribales », de « rivalités interethniques ataviques » pour désigner les conflits africains.

Aujourd’hui, comme le soulignent certains auteurs, le fait que seul « l’Africain » soit la cible de ce racisme qui touchait autrefois tous les colonisés montre de façon éclatante que la France n’a pas encore décolonisé ce continent.

On retrouve actuellement, y compris dans les plus grands médias français (Le Monde, Libération, ... pour n’en citer que quelques-uns), une sorte « d’ethnisme scientifique de tradition coloniale » lorsqu’il s’agit de traiter des sociétés africaines.

On peut, par exemple, lire dans Le Monde du 8 octobre 1990, à propos de la région des grands lacs africains :

« Pasteurs nomades de tradition guerrière, les Tutsi se raccrochent à la branche des Nilotiques. On les dit quelque peu sûrs d’eux même et dominateurs*. Les Hutus, eux, appartiennent au monde bantou. Volontairement ou non, ils se donnent l’image de paysans accrochés à leurs terres, madrés mais plutôt rustres, malhabiles en politique »*.
(* : souligné par moi)

Il est assez révélateur de voir dans ce grand média français, souvent cité comme référence pour ses analyses et la qualité de ses articles, une telle schématisation raciale directement inspirée de Gobineau et de son Essai sur l’inégalité des races. Il n’y a guère plus que pour l’Afrique que l’on peut, sans provoquer de scandale, ainsi utiliser une caractérologie raciale, attribuant à une race des caractéristiques psychologiques génétiquement transmissibles et immuables.

Mais si les médias semblent utiliser pour les Africains des stéréotypes ethniques et raciaux, les politiques ne sont pas en reste. Frantz Fanon écrivait, dans Les Damnés de la terre, au sujet de la déshumanisation du colonisé :

« (...) Le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion aux mouvements de reptation du Jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, au pullulement, au grouillement, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère au bestiaire. »

Il est assez significatif qu’un homme alors Ministre de l’Intérieur parle de « sauvageons » pour désigner les jeunes des banlieues issus de l’immigration ou que notre actuel Président de la République ait pu, lors d’un meeting électoral, prononcer ces paroles :

« Comment voulez-vous que le travailleur français qui travaille avec sa femme et qui ensemble gagnent environ 15000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassés, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, qui gagnent 50000 francs par mois de prestations sociales sans naturellement travailler ! Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, eh bien, le travailleur français sur le palier, il devient fou ! (...) ».

Les propos d’André Deschamps, député du PCF, sont encore moins équivoques :

« Quand vous voyez des nègres et des arabes comme des meutes de hyènes dans les cages d’escaliers des cités... Plutôt que d’agresser les pauvres bonnes femmes, ils feraient mieux de se bouger...On dit qu’ils déconnent parce qu’ils n’ont rien à faire. Mais s’ils n’ont rien à faire, ils n’ont qu’à rentrer chez eux. » (Libération, le 24/03/1990)

On ne peut que constater le rôle des médias et de la classe politique dans la légitimation de stéréotypes négatifs relatifs aux populations africaines et aux populations françaises ayant des origines africaines, il ne faut pas perdre de vue que si de tels stéréotypes peuvent voir le jour « en haut » (par opposition au racisme « analphabète » ou « tranquille » décrit par Tahar Ben Jelloun ), c’est qu’ils sont partagés, à la base, par une grande partie des français.

C’est ce que nous rappelle une enquête d’opinion effectuée au cours du printemps 1997 à l’occasion de l’année européenne contre le racisme. On y apprend notamment que les Européens sont 1/3 à se déclarer « très ou plutôt raciste » et que parmi eux 9% se déclarent « très racistes. »
Parmi ceux qui dépassent la moyenne européenne des « très racistes », on retrouve les Belges (22%), les Français (16%) et les Autrichiens (14%). Ces trois pays ont également les scores les plus élevés si l’on additionne les groupes « très racistes » et « assez racistes », respectivement 55%, 48% et 42% .

Comme plusieurs études l’on déjà montré (imagologie, analyse du contenu des représentations sociales, etc. ...) , de nombreux stéréotypes négatifs, disqualifiants et dévalorisants circulent dans la société française concernant les populations africaines et les populations françaises originaires de ce continent.

Mais si, comme on peut le voir, de nombreux français et de nombreux européens se déclarent être « des racistes », il nous faut également nous interroger sur le racialisme et essayer de comprendre comment, alors que certaines personnes pensent rejeter les idées racistes, elles en sont, en fait, totalement imprégnées.


A lire :

- Images et Colonies (1880-1962), s/s la dir. de Nicolas Blancel, Pascal Blanchard et Armelle Chatelier, BDIC-ACHAC, 1993.

- Manière de voir n°58, Juillet-Aout 2001 : Polémiques sur l’histoire coloniale.

- Quasimodo, N°6, Fiction de l’étranger, Printemps 2000.

- Pierre Tévanian, Sylvie Tissot, Mots à maux, Dictionnaire de la lepénisation des esprits, Edition Dagornio, 1998 (mais également chez l’Esprit Frappeur, 2003) et le site internet Les mots sont importants.

- Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre pouvoir ? Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais, L’Esprit frappeur, 1999. (Sur l’ethnisme et le racisme qui apparait dans ce quotidien de « référence » au sujet de l’Afrique et du Rwanda en particulier)

Bruno Gouteux est journaliste et éditeur —Izuba éditions, Izuba information, La Nuit rwandaise, L’Agence d’Information (AI), Guerre Moderne, Globales…—, consultant —Inter-Culturel Ltd— et dirige une société de création de sites Internet et de contenus —Suwedi Ltd.

Il est engagé dans plusieurs projets associatifs en France et au Rwanda : Appui Rwanda, Distrilibre, Initiatives et Solutions interculturelles (ISI), le groupe Permaculture Rwanda, Mediarezo

 11/09/2007

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