Le Sahel face au péril militariste

25 octobre 2025 | A. T. Moussa Tchangari

Au Sahel, le coup d'État militaire survenu au Niger le 26 juillet 2023 est le sixième du genre depuis 2020 dans cet espace en proie à une crise sécuritaire inédite, après ceux enregistrés au Mali, au Burkina Faso et au Tchad.

Il se singularise d'autres événements tant par son mode opératoire, à savoir la séquestration du président par sa propre garde, que par les circonstances de sa venue, marquée par l'absence de tensions sociales ou politiques visibles. Ce coup d'État militaire a surpris toutes les personnes qui, à l'intérieur comme à l'extérieur, se sont refusées à considérer sérieusement le risque de voir la crise politico-sécuritaire ouvrir la voie à un retour au pouvoir des militaires un peu partout au Sahel, y compris au Niger, pays considéré comme le plus résilient de l'espace sahélien.

Au cours des dix dernières années, il faut dire que la plupart des acteur·trices internationaux sont resté·es fortement attaché·es à l'idée, vendue par certain·es expert·es, que le Niger représente une certaine exception au Sahel : d'abord, du fait de sa stabilité politique, puisqu'il n'a pas connu une rupture violente de l'ordre constitutionnel depuis 2010, et ensuite du fait de sa relative résilience face aux attaques des groupes armés, qui opèrent sur plusieurs fronts, notamment à l'est et à l'ouest. Ces deux éléments de contexte, associés au fait que le pays a connu récemment la première transition du pouvoir pacifique entre deux présidents, ont contribué à forger ce qu'il convient de considérer à présent comme le mythe de l'exception nigérienne, et c'est ce mythe qui s'est effondré le 26 juillet dernier de façon plutôt brutale, au grand bonheur de ceux et celles qui rêvent de voir le pays renouer avec l'autoritarisme d'antan.

Un procès en règle

À la faveur de ce coup d'État, il est apparu qu'un nombre significatif de citoyen·nes de ce pays ne sont pas loin de croire qu'un régime militaire est mieux placé qu'un régime civil pour relever les grands défis du moment, comme essaient de le faire admettre certains soutiens intellectuels de la junte militaire à travers des analyses soutenant que l'avènement de la démocratie a été un facteur sérieux de déstabilisation des États au Sahel. Les événements de ces derniers mois ont montré que le soutien au coup d'État militaire ne se nourrit pas seulement des rancœurs accumulées au cours des douze années de gestion du pays par le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarrayya), ou de la colère suscitée par les sanctions et menaces de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ; il se nourrit également d'un procès en règle du modèle même de la démocratie représentative, présentée comme un produit importé, sinon comme un véritable cheval de Troie des Occidentaux, qui ne servirait qu'à diviser pour mieux régner au Sahel.

Après le Mali et le Burkina Faso, on peut donc affirmer que le Niger semble bien parti pour refaire durablement l'amère expérience d'un pouvoir militaire qui pourrait s'avérer bien plus redoutable que ceux qu'il a connus dans le passé. Et cela même malgré l'espoir de voir les acteurs nationaux et régionaux se mobiliser pour transformer la crise ouverte par le coup d'État du 26 juillet en une opportunité de remettre la démocratie sur les rails. Cette crise, faut-il le rappeler, a été un révélateur des divisions et clivages qui traversent la société nigérienne, et a permis à beaucoup de Nigérien·nes de prendre conscience de l'intérêt que portent les grandes puissances internationales à leur pays. Les diverses réactions au coup d'État militaire ont été très riches en enseignements. Elles ont mis en lumière le jeu des grandes puissances et la capacité de certains acteurs nationaux à le faire correspondre à leurs propres agendas.

Politique d'un putsch

Ainsi, dès les premiers jours du coup d'État militaire, il est clairement apparu que les militaires putschistes et leurs soutiens civils sont bien conscient·es des enjeux de la crise en cours pour les puissances extérieures. Le contexte international actuel, marqué par de fortes rivalités entre ces dernières, ne leur a pas échappé et leur offre quelques marges de manœuvre pour se maintenir au pouvoir. Ainsi, les faits montrent que les militaires nigériens n'ont pas perdu de vue deux facteurs dont ils pourraient tirer profit : d'abord, la difficulté pour les puissances extérieures, bien qu'unanimes à condamner la prise du pouvoir par la force, à s'entendre sur la marche à suivre pour les obliger à retourner dans leurs casernes ; ensuite, l'existence d'un potentiel réel de soutien à des projets de restauration autoritaire de la part de certaines puissances comme la Russie et la Chine qui ne les appréhendent pas comme une menace à leurs intérêts stratégiques.

Outre ces deux facteurs importants, il convient de noter que les militaires putschistes et leurs soutiens civils n'ont pas perdu de vue l'existence, au sein de l'opinion sahélienne, d'un ressentiment profond à l'égard des puissances occidentales présentes sur le terrain. Comme leurs homologues du Mali et du Burkina Faso, ils ont bien compris que ce ressentiment, qui se double d'une forte demande de souveraineté, peut servir de levier à la fois pour légitimer localement leur irruption sur la scène politique et pour mettre sur la défensive toute puissance qui s'y opposerait. C'est en tenant compte de tout cela ainsi que des craintes légitimes que suscite la menace d'intervention militaire de la CEDEAO (à présent abandonnée) qu'ils se sont empressés à placer la question de la présence des forces extérieures, en particulier françaises, au cœur des enjeux de la crise ouverte par leur prise du pouvoir. Cette stratégie a été payante : elle a permis de rallier à la junte de larges pans de la population.

Aujourd'hui, après avoir obtenu le départ des forces françaises présentes dans le pays depuis bientôt une décennie, la junte espère encore tirer profit des sanctions et des menaces de la CEDEAO pour continuer à souder derrière elle les forces armées et la population, mais elle semble bien consciente que nombre de ses propres soutiens, civils comme militaires, attendent aussi des signaux clairs indiquant qu'elle n'est pas le bras armé de l'ancien président Issoufou Mahamadou qui cristallise toutes les rancœurs nées des douze années de gestion du pays par son parti, le PNDS-Tarrayya.

Échec démocratique et militaire

Les manifestations des mois précédents, dont le thème principal était le départ immédiat des forces françaises du Niger, ont été l'occasion pour certains de rappeler à la junte que leur soutien ne lui sera définitivement acquis que si elle prend ses distances d'avec l'ancien président, accusé d'être l'instigateur même du putsch du 26 juillet.

Quoi qu'il en soit, il est important de garder à l'esprit que le retour au pouvoir des militaires au Niger, comme au Mali et au Burkina Faso d'ailleurs, n'est pas seulement le symptôme d'une crise de la démocratie. Il est aussi la sanction de l'échec de tout ce qui a été entrepris jusqu'ici pour vaincre les groupes armés, à commencer par le déploiement sur le terrain des forces extérieures, qui n'a pas permis de faire reculer l'insécurité dans les pays. La rhétorique des militaires putschistes, au Niger comme au Mali et au Burkina Faso, est claire sur ce sujet : elle impute cet échec aux dirigeant·es civils, accusé·es d'avoir fait de mauvais choix, et aux forces extérieures, présentées comme des complices des groupes armés. L'enjeu pour les militaires putschistes n'est pas seulement d'éluder la part de cet échec qui incombe aux forces de défense et de sécurité nationales, mais il s'agit surtout de se poser en libérateurs providentiels des peuples dont les dirigeants civils et leurs alliés extérieurs n'ont pas pu assurer la sécurité qu'ils étaient en droit d'attendre. Le pari est encore loin d'être gagné.

A. T. Moussa Tchangari est journaliste et militant altermondialiste.

Photo : Soldats nigériens à Diffa, Département de la défense des États-Unis (CC0 License)

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