Loppsi 2 : La guerre aux pauvres

Bruno Gouteux - 25/02/2011
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Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure
Renforcement de l’arsenal répressif de l’Etat

La Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la
Sécurité Intérieure (LOPPSI) est un plan quinquennal (2009-2013) de
gestion répressive de la société.

Elle succède à la LOPSI, qui concernait les 5 années précédentes.

Ces plans s’intègrent à toute une série de lois
sécuritaires qui s’intensifient depuis 2001 en France (Loi sur la Sécurité
Quotidienne, Loi sur la Sécurité Intérieure, lois Perben 1 & 2, Loi de
prévention de la délinquance,... en tout 17 lois en moins de dix ans) et
fleurissent partout en Europe et dans le monde.

Pour perdurer, le système économique a besoin de croissance.

Cette
nécessité conduit à une réorientation des directives budgétaires et du
cadre législatif. Le rôle de l’Etat est d’assurer le développement de
l’économie en garantissant des conditions favorables d’exploitation. Les
dépenses allouées à la redistribution d’une partie des richesses produites
(retraites, allocations, salaire minimum, sécurité sociale...) sont
orientées vers des investissements au bénéfice du Capital (recherche et
développement, plans de sauvegarde des banques, grands chantiers...).

Les
mesures d’austérité conduisent à une précarisation de la main d’œuvre qui
doit être rendue flexible et concurrentielle sur le marché mondial. Les
conditions d’existence se dégradent et les mythes de l’Etat providence et
de l’ascension sociale s’effondrent.

L’Etat, ne pouvant plus s’appuyer sur
ces mythes pour assurer une cohérence sociale, est contraint de renforcer
son arsenal répressif. Il multiplie ses outils pour surveiller et
discipliner la population. Appuyé par les discours médiatiques, il
distille de multiples peurs (désignation des ennemis intérieurs :
« jeunes », « immigrés », « délinquants », « terroristes »... ; menaces de
catastrophes « naturelles », industrielles ou sanitaires) afin que chacun
se retrouve impuissant et isolé face à de telles abstractions et s’en
remette à son autorité en la relayant. Dès lors, toute personne
deviendrait un véritable « citoyen-policier », suspectant l’ensemble de
son environnement social et contraint de se restreindre soi-même...

Paradoxalement les richesses n’ont jamais été aussi importante, alors que
la pauvreté et la misère s’accroissent partout sur le globe. La classe
dominante s’accapare toujours plus, pendant qu’elle nous ordonne de
travailler et de nous serrer la ceinture. Toute tentative de survie
(travail au noir, système D, vente à la sauvette...) est vouée à la
désapprobation « morale » et à l’illégalité, et est réprimée comme telle.
La LOPPSI s’intègre de plein pied dans cette dynamique coercitive.

Les agents des services sociaux, ceux de Pôle emploi notamment, seront
désormais des « personnes dépositaires de l’autorité publique »,
assermentées pour dresser des procès verbaux : en cas de suspicion de
fraude, pour constater un outrage ou encore pour acter juridiquement d’un
travail non-déclaré. Gare à ceux qui n’auront pas déclarer le chèque de
Noël de mamie sur leur déclaration trimestrielle ! Ces flics de l’emploi
pourront également échanger des informations avec la police, la justice,
les contrôleurs du travail, du trésor public, de la CAF ou de la sécurité
sociale (interconnexion des fichiers, levée du secret professionnel).

Cette demande obsessionnelle à déclarer nos revenus n’a d’autres buts que
de multiplier les radiations ou de forcer le retour à l’emploi. Dans cette
logique de marché du travail bradé, des moyens d’arrondir les fins de
mois, telle la vente à la sauvette, qualifiées jusqu’alors d’infractions
(amendes et saisies par procès verbaux) deviennent des délits relevant de
la justice pénale (qui, quant à elle, peut condamner à une peine de
prison). Cette mesure, à l’image de celles de lois précédentes réprimant
la « mendicité agressive » ou le « racolage passif », prépare également
l’aseptisation de certains quartiers au profit des spéculateurs fonciers.

La vidéo-surveillance (rebaptisée vidéo-protection) va s’étendre. Le
nombre de caméras publiques doit être triplée, de 20 000 à 60 000. Des
subventions seront accordées aux communes que le préfet pourra obliger à
délibérer sur l’installation de caméras. Actuellement principalement
visionnées par les municipaux, elles seront raccordées à la gendarmerie et
à la police nationale. Les mairies peuvent confier l’exploitation de leurs
images à des entreprises privés. Les caméras privées pourront désormais
filmer la voie publique et être utilisées à loisir par la police.

Des
dispositifs « exceptionnels » pourront être installés sous injonction du
préfet pour des manifestations ou rassemblements de grande ampleur
(rencontres sportives, culturelles...). En parallèle, l’occupation des
espaces communs des immeubles (halls, mais aussi parkings, toits,
caves...), où n’importe quel individu serait susceptible de nuire à la
tranquillité du voisinage, sera passible de contravention. Ces mesures
témoignent d’une logique où l’espace public doit rester en permanence sous
contrôle policier et ne servir qu’aux flux de personnes et de
marchandises.

En dehors du travail, de la consommation et du transit,
chacun est sensé rester tranquillement dans son habitation.
Habitation qui elle-même doit respecter certaines normes sous peine d’être
expulsée et détruite.

La Loppsi prévoit pour ce faire, une procédure
expéditive, avec une expulsion dans un délai de 48h après mise en demeure
par le préfet, en cas de « risques pour la salubrité, la sécurité ou la
tranquillité publiques », termes volontairement vagues qui visent tous les
habitats de fortune, qu’ils s’agisse de bidonvilles, de caravanes, de
squats, de yourtes, de teepees, de cabanes ou de camions...

Ceux qui
n’exécuteront pas la mise en demeure verront leur habitation et les biens
qu’elle renferme détruits et pourront être condamnés à une lourde amende
et à une peine de un an de prison. Sur simple requête d’un propriétaire,
que l’on soit « squatteur » ou locataire en défaut de paiement, la même
procédure et la même peine pourraient être appliquées.

L’État affirme son autorité vis à vis de tous ceux qui sont considérés
comme « déviants ». Ces déviances doivent être diagnostiquées dès le plus
jeune âge et contrôlées par l’autorité, celle de la famille dans la mesure
du possible et dans le cas contraire celle de l’Etat à travers la crèche,
l’école, la justice ou la DDASS. Les « mineurs », nouvelle catégorie de
« population à risque », déjà fichés à l’école par le fichier
« Base-élève » (qui dresse le profil social, psychologique et scolaire),
le seront désormais en parallèle dans leur commune par le conseil local de
sécurité et de prévention de la délinquance (étendu à toutes les
municipalités) et le conseil pour les droits et devoirs des familles
(systématique dans les communes de plus de 20 000 habitants), placés sous
l’autorité du maire.

Un « casier judiciaire bis », contenant les
condamnations mais aussi les décisions de classement sans suite prises
après mise en œuvre d’une « peine alternative », pourra être transmis par
le procureur au président du Conseil général. Cette mesure accompagne la
mise en place d’un « contrat de responsabilité parentale », pression
supplémentaire permettant notamment, dès la moindre infraction ou en cas
d’absentéïsme scolaire, la suspension des allocations familiales ou la
mise en place d’un couvre-feu individuel pour les mineurs de moins de 13
ans entre 23h et 6h. Si les parents refusent de signer le contrat ou que
celui-ci n’est pas respecté, le préfet pourra « prendre toute mesure
d’aide et d’action sociales de nature à remédier à la situation », termes
qui donnent toute latitude à la préfecture pour mettre en place un
« suivi » par les services sociaux ou un placement de l’enfant.

La
« protection de l’enfance » se transforme en « prévention de la
délinquance », la répression s’intensifie sur les parents comme sur leurs
bambins, ce qui ne manquera pas d’accroître les violences familiales et le
nombre de détenus dans les Établissements Pénitentiaires pour Mineurs, les
Centres Éducatifs Renforcés, les Centres Éducatifs Fermés... ou les futurs
Établissements d’éducation, de discipline et de « réinsertion » pour les
mineurs délinquants (proposition de loi en première lecture à
l’assemblée). Ils pourront d’ailleurs y être enfermés suite à des
comparutions immédiates.

Les forces de maintien de l’ordre se réorganisent et se multiplient. La
police nationale et la gendarmerie (intégrée au ministère de l’intérieur
depuis la Lopsi) se coordonnent davantage et partagent leurs compétences.
Les nationaux seront désormais susceptibles d’intervenir sur le territoire
de la gendarmerie et inversement. Les pouvoirs des polices municipales et
rurales s’accroissent, certains deviendront des agents de police
judiciaire, ils pourront constater crimes et délits, procéder à des actes
d’enquête, effectuer contrôles d’identité et fouilles. Les agents de
sécurité privée, actuellement 170 000, auront également de nouveaux droits
et seront encadrés par un « conseil national des activités privées de
sécurité » qui leur permettra de collaborer plus activement avec le reste
des forces de police.

La LOPPSI multiplie le nombre de personnes
dépositaires de l’autorité publique et alourdit les condamnations des
faits allant de l’outrage à l’homicide à l’encontre de ceux-ci. Les agents
de renseignement pourront légalement utiliser une identité ou une qualité
d’emprunt, témoigner anonymement... et dévoiler leur identité sera puni de
3 à 10 ans d’emprisonnement (y compris si la révélation est commise
involontairement, par négligence ou imprudence). Des pratiques policières,
jusqu’ici extra-légales, sont reconnues par cette loi, tel que
l’infiltration, le démarchage d’indics, etc.

La collaboration avec la police est un credo vivement encouragé. Une
« réserve civile de la police nationale » est créée, élargie à d’autres
personnes que les policiers retraités. Elle est chargée d’appuyer les
fonctionnaires dans leurs missions.

De plus, un « service volontaire
citoyen » est mis en place pour des missions de « médiation sociale » et
« d’éducation à la loi », en somme une sorte de milice citoyenne. Sous
prétexte « d’aide aux victimes », le texte de loi prévoit la création
d’outils de dénonciation en ligne (téléphone ou internet). Le vieux
paternalisme de l’Etat se déplace sur le seul champ de la sécurité. Il
garantit la réparation des préjudices subis et encadre les victimes. C’est
une réponse individuelle et psychologique, pour empêcher le questionnement
sur les causes réelles de la violence sociale. Cette méthode a aussi comme
objectif l’adhésion de tous au processus disciplinaire.

La société entière et surtout tous ses membres doivent être sous contrôle.
A ce titre l’utilisation de l’informatique continue son développement.
L’utilisation du FNAEG (fichiers des empreintes génétiques) est encore
étendu.

Ce fichier, instauré en 1998 par le gouvernement Jospin, était
destiné dans un premier temps aux seuls crimes sexuels. Il ne cesse de
s’élargir pour concerner la quasi totalité des crimes et délits, au fur et
à mesure des lois sécuritaires.

Avec la LOPPSI, les relevés de traces sur
les lieux de vols avec violence ou effraction deviennent automatiques. Le
FAED (empreintes digitales), va intégrer les empreintes palmaires (de la
main). Ces deux fichiers seront partagés avec d’autres polices
européennes. Les fichiers « d’analyses sérielles » (rapprochement de
différentes affaires pour en chercher les récurrences) de la police et de
la gendarmerie (SALVAC et ANACRIM) vont être étendus à tous les délits
passibles de 5 années de prison. Les données inscrites dans ces fichiers
sont de tous types, jusqu’à l’état de santé de personnes, leurs origines
ou leurs opinions religieuses et politiques. Un nouveau super fichier doit
apparaître, véritable moteur de recherche consultant la totalité des
fichiers de police, de gendarmerie et de justice, il doit aussi intégrer
des données venant d’administrations publiques (sécu, trésor public...),
privées (banques, opérateurs téléphoniques...), ainsi que des informations
provenant du domaine public d’internet (facebook, twitter, google...).

Ce
logiciel, nommé Périclès dans ses premières moutures, est introduit dans
la LOPPSI sous le nom de AJDRCDS (Application judiciaire dédiée à la
révélation des crimes et délits en série).

La coopération des polices au niveau européen s’intensifie. Outre le
partage des empreintes génétiques et digitales entre les pays qui ont
ratifié le Traité de Prüm (ou Schengen III), il est prévu la création
d’une base de donnée européenne contre la menace NRBC (nucléaire,
radiologique, biologique et chimique), une « assistance mutuelle en
matière de sécurité civile » (en cas de troubles sociaux, de catastrophes,
de rencontres sportives...) et un renforcement plus général des
dispositifs déjà en place (Europol - police communautaire, Frontex -
police aux frontières...). Cette coopération a notamment pour objectif
d’intensifier la traque aux sans-papiers.

L’usage policier et judiciaire des nouvelles technologies se généralise.
C’est un secteur de développement économique conséquent par l’embauche,
les marchés qui y sont liés et les investissements dans la recherche.
Nouvelles armes, nouvelles tenues de protection, caméras et
micro-informatique embarquées dans les véhicules... sont mis à la
disposition des forces de l’ordre. Les scanners corporels, permettant le
déshabillage numérique, seront généralisés dans les aéroports.

La
visioconférence se répand dans les procédures judiciaires, pour les
auditions, les confrontations et les comparutions des prévenus. Le même
régime est également attribué aux migrants qui seront jugés en restant
confinés dans les centres de rétentions administratives. La surveillance
judiciaire, via le bracelet électronique, pourra s’appliquer en dehors de
toute exécution de peine pour certains récidivistes comme pour les
sans-papiers suspectés de terrorisme.

La technologie sert à la répression mais doit aussi être contrôlée. Des
mouchards informatiques (vers, qui enregistrent les activités effectuées
sur un ordinateur, et chevaux de Troie, qui permettent l’accès aux données
stockées) pourront être installés par Internet ou directement sur la
machine à des fins d’enquête envers les personnes suspectées de
terrorisme, de crimes organisés tel vols, trafics de drogue, proxénétisme
ou aide à l’immigration clandestine. S’ajoutant à d’autres lois qui
légifèrent sur la question, la Loppsi instaure par ailleurs le contrôle du
Web. Sous prétexte, comme de coutume, de lutter contre la diffusion
d’images pédopornographiques, la loi prévoit un système de filtrage des
sites dont le contenu dérange, censure qui s’étendra sans doute
rapidement...

De manière générale c’est un renforcement des dispositifs répressifs. Les
peines s’alourdissent et de nouveaux délits apparaissent. La Loi veut
s’attaquer à « la délinquance de masse » (travail au noir, délits
routiers, vols à l’étalage, incivilités...) qui serait le terreau d’une
criminalité organisée. La tolérance zéro, politique initiée aux
Etats-Unis, doit s’appliquer pleinement, pour défendre les richesses
accumulées par la classe dirigeante.

Dans ce conflit, les « ennemis intérieurs » sont désignés comme cibles
privilégiées. Différentes catégories sociales sont ainsi visées afin de
développer la peur de l’autre, justifier l’Etat policier et diviser les
pauvres. La catégorie de « terrorisme » participe largement à cette
politique. Sa définition s’élargit constamment, pour s’étendre dans la
LOPPSI à toutes les menaces « qui portent atteinte aux principes
fondateurs de la République, à l’intégrité du territoire national et aux
intérêts supérieurs du pays ».

Ne nous étonnons pas que la notion de
terrorisme diffère de l’installation d’un climat de terreur dans la
populations quand l’Etat joue ce rôle. Celui-ci fait également tomber le
« clivage traditionnel entre sécurité intérieure et sécurité extérieure »
confirmant une logique unique de guerre dont les cibles sont les
populations. L’arsenal, les troupes engagées et les stratégies
militaro-policières se confondent toujours plus.

La situation de guerre sociale, volontairement durcie par l’Etat, voit
surgir des résistances diffuses à travers le monde. La peur distillée et
l’isolement de chacun sont des barrières à l’extension de nos luttes. La
seule force capable de contrer l’avancée de la domination et de
l’exploitation repose sur nos capacités à nous solidariser, à entrer en
lutte et à unir nos combats. Il faut donc dépasser les murs qui nous
séparent en différentes catégories, soit-disant ennemies ou concurrentes
(français-immigrés, travailleurs-chômeurs, jeunes-adultes...).

Si les
capitalistes sont conscients de l’affrontement de classe nécessaire au
maintien de leurs privilèges, nous sommes loin d’en avoir pris acte.
Beaucoup trop de nos luttes cherchent à se faire entendre et comprendre
par le pouvoir, au lieu de s’imposer dans le rapport de force existant. Il
ne s’agit pas de répondre sur le même terrain et par les mêmes moyens mais
plutôt de chercher à surprendre.

La base de notre force réside dans la
mise en commun de nos envies, de nos moyens et de nos perspectives.

Bruno Gouteux est journaliste et éditeur —Izuba éditions, Izuba information, La Nuit rwandaise, L’Agence d’Information (AI), Guerre Moderne, Globales…—, consultant —Inter-Culturel Ltd— et dirige une société de création de sites Internet et de contenus —Suwedi Ltd.

Il est engagé dans plusieurs projets associatifs en France et au Rwanda : Appui Rwanda, Distrilibre, Initiatives et Solutions interculturelles (ISI), le groupe Permaculture Rwanda, Mediarezo

 25/02/2011

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