
En février 2025 voyait le jour Ripostes, une plateforme médiatique dédiée au milieu de l'action communautaire autonome québécois. À bâbord ! est allé à la rencontre de l'une de ses instigatrices. Propos recueillis par Samuel Raymond.
À bâbord ! : Qu'est-ce que Ripostes ?
Patrizia Vinci : Ripostes est une médiathèque dédiée à l'action communautaire autonome (ACA) qui a pour objectif de documenter l'histoire, les pratiques et les enjeux qui sont propres au communautaire. Elle a comme mandat de rendre visible l'importance de ce mouvement unique pour la société québécoise. La question de la documentation est cruciale parce qu'il y a un enjeu de transmission. On vise la relève du mouvement et les groupes alliés tels que les milieux universitaires, syndicaux et la population en général. On espère aussi que les vidéos deviennent des outils pour susciter des discussions, que ce soit pour réfléchir sur les pratiques et les enjeux d'aujourd'hui, et où on s'en va collectivement. L'objectif final est de renforcer l'action communautaire autonome dans son ensemble.
C'est un travail qui se fait par, pour et avec les groupes communautaires, à la fois pour la sélection des sujets et pour le travail de terrain. On porte d'ailleurs une attention particulière à représenter la diversité de l'ACA, notamment géographique.
ÀB ! : D'où vient l'idée du projet ?
PV : L'organisme PAIR [1] a développé le projet en 2020. Il voulait alors documenter l'impact de la pandémie sur les groupes et les populations desservies. De plus, il souhaitait rendre compte de cette capacité du milieu communautaire d'être proche du terrain, de réagir vite et de répondre aux besoins de la population.
PAIR a porté l'initiative au début et est venu chercher le CFP ensuite. Nous sommes complémentaires dans nos expertises. PAIR maîtrise l'aspect technique et les communications, alors que le CFP apporte son ancrage dans le milieu communautaire. Ensemble, nous avons élaboré un plan sur cinq ans dont la première année vient de passer.
Aujourd'hui, Ripostes est dans une situation différente que lors de la pandémie. On est dans un contexte historique de grand effritement de la démocratie, de montée de la droite accompagnée d'enjeux sociopolitiques multiples. Ripostes se positionne donc dans une vision de long terme pour être capable de répliquer et de devenir un instrument de résistance pour l'action communautaire autonome.
ÀB ! : Quelles sont les stratégies de diffusion de la médiathèque ?
PV : On veut faire connaître Ripostes et diffuser les vidéos par des activités de réflexions coordonnées par le CFP. Dans le cadre de notre stratégie de diffusion, on compte aussi sur les groupes communautaires pour qu'ils participent à la diffusion de Ripostes sur leurs propres plateformes auprès de leurs membres. Le but est que les vidéos soient utilisées pour animer des espaces de réflexions critiques et renforcer l'ACA. Actuellement, nous mobilisons le milieu universitaire pour alimenter la relève. Plus globalement, on vise les futur·es travailleur·euses, les membres de conseil d'administration ou encore les bailleurs de fonds.
ÀB ! : Pourquoi est-ce important de parler du communautaire de la manière dont Ripostes le fait ?
Déjà, pour créer ce carrefour de production et de documentation de l'ACA. Puis, on voulait un site avec une esthétique qui correspond aux goûts d'aujourd'hui, qui soit facile d'accès et qui rassemble des productions originales. Ripostes ne propose pas seulement des vidéos, mais met aussi à disposition ce que l'ACA a produit pour documenter son histoire.
Il y a aussi la question du long terme. C'est un privilège de développer une vision sur plusieurs années afin de sélectionner ce qui doit être documenté aujourd'hui et demain sur l'ACA tout en y faisant participer ses membres. Il faut se réapproprier le narratif de l'ACA. Le mouvement communautaire est souvent malmené, sous-estimé par les médias grand public. Ripostes, c'est nos voix, comment on se raconte, ce qui est important pour nous. C'est penser l'ACA avec le langage et le narratif qui lui appartient.
Comme je l'ai évoqué plus tôt, on est dans un moment charnière dans tous les milieux de travail. Ce qu'on constate sur le terrain, c'est le besoin de voir comment on transmet l'existence de l'ACA. La vidéo est l'outil d'aujourd'hui pour la relève. Si on veut continuer à exister, on doit se transformer.
ÀB ! : Quels sont les sujets abordés et comment sont-ils sélectionnés ?
PV : On souhaite développer trois séries thématiques par année. Pour notre première année, on a commencé par les bases de l'ACA. On a donc débuté les séries de vidéos avec les sujets de la transformation sociale, de la participation citoyenne et de l'autonomie. Ces trois éléments sont en soi une prise de position. C'est mettre de l'avant ce regard critique de la société et cette volonté de transformation politique afin de renforcer l'ADN de l'ACA.
Après, il y a beaucoup d'échanges avec les groupes qui nourrissent les contenus qui se construisent. Ces derniers sont divisés en quatre rubriques : l'histoire, les luttes, les pratiques et les défis. Dans le travail de sélection des sujets, on réfléchit à ce qui sera pertinent pour soutenir les réflexions et ce qui sera à documenter pour la postérité. Il est possible de communiquer avec nous à partir du courriel info pour proposer des sujets. C'est toujours intéressant pour élargir les enjeux. Nous avons aussi une réflexion en cours concernant les moyens d'intégrer de nouvelles personnes dans les équipes de travail des groupes communautaires : « Qu'est-ce que je dois leur montrer pour qu'iels comprennent qui nous sommes ? ». On réfléchit donc à des formats plus courts qui présenteraient les éléments essentiels pour des trousses d'accueil.
Finalement, on vise à aller chercher des choses dont on parle moins et à les vulgariser. On n'a pas la prétention de couvrir toute la complexité de l'ACA. D'ailleurs, on peut aussi interroger les publics lors d'activités pour savoir quels éléments manquent. Qu'est-ce qui n'a pas été documenté ? Qu'est-ce qui aurait été important pour vous ?
ÀB ! : Que souhaite-t-on pour la suite de Ripostes ?
PV : On se souhaite des vidéos qui vont vivre grâce à une diffusion large. On espère que les groupes vont se les approprier, comme les groupes qui ont participé au tournage se sont approprié la production des contenus.
De plus, on va réaliser une tournée du Québec. Elle a d'ailleurs déjà commencé en Outaouais. Les vidéos seront présentées dans les prochains mois. Il y aura par exemple une présentation à l'École d'été citoyenne de l'Outaouais, où ils vont aborder l'enjeu du logement. La vidéo s'intéresse à l'historique des mobilisations contre les expropriations de la fin des années 1960. Le tournage s'est développé avec un des leaders communautaires de l'époque, et un cercle de parole de militant·es exproprié·es. Nous y trouvons aussi des personnes qui se sont mobilisées plus récemment en 2023. Notre prochain arrêt est le Bas-Saint-Laurent.
Et puis, les vidéos sont déjà diffusées dans le milieu universitaire pour participer à la formation des étudiant·es en travail social, en éducation aux adultes, ou en science politique. Ce sont des outils pour illustrer les explications des professeur·es à propos de l'action collective, du développement des communautés et de l'éducation populaire. Prochainement, on va créer des ponts de communication avec les syndicats, car il ne faut pas sous-estimer l'importance de rejoindre les allié·es en dehors de l'ACA si on veut créer davantage de solidarités. L'expression de la solidarité se retrouve aussi dans les liens qui peuvent se tisser entre les groupes de l'ACA eux-mêmes. Notre prochain tournage dans le Bas-Saint-Laurent va d'ailleurs aborder les défis de la mobilisation dans les milieux ruraux. On souhaite que les groupes locaux s'en inspirent et utilisent ces outils dans leurs propres milieux.

[1] P.A.I.R. (Pair) est une entreprise qui a pour mission d'accompagner les organismes issus du milieu communautaire et coopératif, ainsi que les fondations caritatives, aux prises avec des défis de gestion et/ou de communication.
Patrizia Vinci est organisatrice et mobilisatrice en mouvement communautaire au Centre de formation populaire (CFP) et responsable de la mobilisation et de la programmation Ripostes. Le CFP est un organisme communautaire autonome de formation, qui aide les organismes volontaires, partout au Québec, à renforcer leur vie associative et démocratique.
Photo : Lancement de Ripostes. Crédit : Centre de formation populaire
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