Rwanda de 1994, Centrafrique 2014 : l’histoire se répète !

Yolande Mukagasana - 18/02/2014
Image:Rwanda de 1994, Centrafrique 2014 : l'histoire se répète !

Qu’avons-nous retenu de notre histoire ?
Comment le Vatican peut-il garder le silence ?

Mes chers frères Africains,
Je m’adresse à vous comme votre sœur.

Je m’adresse à vous comme une mère que la barbarie du génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda a laissé sans espoir.

Mon seul espoir était placé en vous pour pouvoir vivre, mes chers frères et sœurs Africains. Je pensais que le massacre des miens vous a laissé une leçon et le courage de vous défendre et défendre vos générations, mais hélas. Je me suis trompée. Donnez-moi maintenant un autre espoir, une autre raison de compter sur vous.

J’ai vu des photos de scènes de cannibalisme et de lynchage en train d’être filmé en Centrafrique !

Cette Centrafrique qui est devenu le Rwanda de vingt ans après. Les Anti-Balaka, exactement comme les interahamwe rwandais. De la Même façon, ces Anit-Balaka ivres de sang des innocents, leur seule faute étant la liberté de croire en Islam, sont aussi armés de machettes et de couteaux. J’aimerais ici que tout le monde sache que ces Anti-Balaka sont des Chrétiens. La seule différence entre eux et les interahamwe, c’est un plaisir en plus de filmer leurs crimes. Ils filment et photographient la barbarie qu’ils commettent. Je me demande d’où peuvent venir ces caméras !

Les scènes de cannibalisme ne semblent indigner personne, même pas les SANGARIS. C’est normal, les Nègres sont des sauvages. Qui peut prouver le contraire, mes chers frères et sœurs ?

Ces scènes donnent de l’admiration aux spectateurs comme dans un match de football et moi cela me donne la nausée, le froid au dos et le désespoir. Le Coran a été profané et jeté aux ordures à Yaloke. Les victimes musulmanes sont démembrées et émasculées à Bangui. Ces scènes de cannibalisme me font penser au Rwanda, en 1994, où les assassins devaient manger les cœurs ou les tripes des cadavres tutsi pour échapper à la justice plus tard. Les membres d’un corps humain servaient de grigris pour leurs assassins !

C’est le recommencement du Rwanda en Centrafrique.

Il reste combien de musulmans en Centrafrique aujourd’hui ? Il en restera combien demain ? Les musulmans restant ont été désarmés et enfermés dans leur ghetto sans défense ni protection. Cela me rappelle les résistants de Bisesero, au Rwanda, désarmés par des militaires français et cloîtrés dans les collines de Bisesero. Des milliers ont péri pour s’être montré aux militaires français qu’ils ont eu tord de considérer comme leurs sauveurs. Ce n’était pas au programme de « la mission humanitaire turquoise ». Un calcul bien fait pour montrer aux assassins combien de Tutsi restaient dans les collines de la résistance.

J’ai lu que 7 mosquées sur 8 auraient déjà été détruites. Les Anti-Balaka ont d’abord tué Allah comme notre Imana du Rwanda a été tué avant le génocide perpétré contre les Tutsi. C’est comme cela qu’il est aussi facile de faire une épuration confessionnelle. Une épuration de la communauté musulmane de Bozoum a lieu, il paraîtrait même que la population musulmane y serait effacée de la carte. Quelle horreur !, quelle tristesse ! Ce qu’a fait Human Rights Watch est louable.

Mais avant de protéger le Coran, il faut protéger les Musulmans.

Les humains avant les documents car le Coran ne va jamais témoigner de ce que les Musulmans sont en train de subir. Les témoins avant les livres religieux si nous pouvons espérer qu’un jour la justice sera faite. Mais je me demande aussi pourquoi le comportement de Human Right Watch montre deux poids deux mesures entre ce qu’elle fait en Centrafrique et son comportement vis à vis du Rwanda. J’ai été étonné d’apprendre qu’elle a fait confiance en nos soldats et puisse les appeler au secours.

Bravos nos soldats, restez courageux, disciplinés et humains comme vous l’avez toujours été. Aidez et réconciliez les Centrafricains, ce sont nos frères. Nous avons droit aux images de profanation des cadavres musulmans, toujours massacrés et filmés par les assassins, les Anti-Balaka. Cela ne peut que me rappeler encore le Rwanda de 1994 pendant le génocide, quand les assassins violaient les cadavres de femmes, leurs victimes.

Comment ce silence complice est-il possible vingt ans après le Rwanda ?

Les médias occidentaux n’informent pas, ils désinforment. Cet Occident qui aujourd’hui veut que le Rwanda négocie avec les assassin terroristes du FDLR, (ces assassins qui ont massacré plus d’un million d’innocents au Rwanda seulement en trois mois). Des femmes, des enfants, des vieillards, jusqu’aux malades sur les lits des hôpitaux. Cet Occident qui ne s’indigne jamais des viols des femmes et de petites filles congolaises par cette même organisation terroriste qu’est le FDLR ?

Aujourd’hui ils mettent en avant que parmi eux des jeunes qui sont nés après le génocide ? Bien sûr. Ces enfants soldats qui ont grandi au milieu de l’idéologie criminelle. Mais pour l’Occident tout cela est normal. Les intérêts des puissances sont plus importants que les vies des Africains.

Où sont les intellectuels africains ? Où sont les journalistes africains ? Je refuse de dire que les Africains ont ce qu’ils méritent, pourtant cela me pend à la bouche.

Êtes-vous d’accord ? Pas moi.

Êtes-vous scotchés sur vos sièges, ou votre silence est complice de ce qui se passe contre vos frères ? Est-ce la conséquence de la haine de soi ? La peur de l’Occident ?

Donnez-moi une explication car je ne comprends pas.

Je ne vous pardonne pas ce silence macabre. Vous ne voyez même pas que les humains peuvent se ressembler sans être des frères. Il y a vingt ans c’était le Président Mitterrand, les militaires français et l’ONU au Rwanda, aujourd’hui c’est le Président Hollande, les militaires français et l’ONU en Centrafrique.

Il y a vingt ans, les jeunes ont massacré d’autres jeunes avec lesquels ils avaient tout en partage. Les hommes ont massacré les femmes et les enfants. Les images me reviennent lorsque je regarde ce qui se passe en Centrafrique.

La désinformation qui nous a couvert est aujourd’hui la même qu’en Centrafrique.

Des journalistes n’informent pas, ils satisfont les politiques de leurs gouvernements. Ils défendent les idéologies qui ne sont pas africaines. Les religions qui sont les catalyseurs des conflits actuels en Centrafrique ne sont pas africaines, mais coloniales. Vous le savez tous.

Je suis profondément triste d’assister à tout cela. Nous avons épousé, assimilé les religions qui n’étaient pas les nôtres et aujourd’hui nous nous entretuons pour cela ? Comment se fait-il qu’aujourd’hui ce soit une raison de tuer ton frère ? Toutes ces religions expriment la croyance en Dieu. Vous vous entretuez pour leur interprétation ?

Ou sont les religieux ?

Comment prétendent-ils encore défendre des valeurs devant leur silence criminel ? Sur base de quoi nous devons tuer nos frères ? Pourquoi ? Pour quelle raison ? Notre mère Patrie, l’Afrique est la plus riche et ses habitants sont les plus pauvres.

Cela ne suffit pas pour nous faire réfléchir un peu ? Pourquoi ne pas défendre cette cause au lieu de nous distraire sur les causes qui ne sont pas les nôtres et nous appauvrissent davantage ?

Notre Afrique devrait être comme elle est, unique et solidaire, malgré les frontières coloniales et arbitraires. Nous les avons crues, acceptées et respectées. Nous devons résoudre nos problèmes, ce sont les nôtres et non ceux de l’Occident. Qu’avons-nous retenu de notre histoire ?

Ce n’est pas la faute de l’Occident. Tout est de notre faute, nous les Africains.
Mais cela ne déresponsabilise pas l’Occident de ce qu’il fait encore contre nous. Comment le Vatican peut-il garder le silence devant ce qui se passe en Centrafrique lorsque ces actes sont barbares et sont commis au nom de Dieu et de la Chrétienté ?

A voir ce qui se passe en Centrafrique, c’est comme si le Vatican n’existait pas, comme si il n’était pas un État.
Où est sa réaction ?
Veut-il reproduire les croisades ?
J’ai honte d’être Chrétienne.

Kigali, le 16 Février 2014

Yolande MUKAGASANA
Rescapée du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda
Écrivain

Image : capture d’écran, vidéo BFM TV :

Infirmière anesthésiste pendant dix-neuf ans au centre hospitalier de Kigali, puis infirmière en chef d’un dispensaire privé qu’elle avait ouvert dans la capitale, Yolande Mukagasana fut victime, en 1994, des massacres qui dévastèrent son pays. Elle survécut au génocide des Tutsi mais perdit ses trois enfants, son mari, son frère et ses sœurs. Elle a obtenu la nationalité belge en 1999.

Elle a publié deux ouvrages autobiographiques, La mort ne veut pas de moi, paru en 1997, et N’aie pas peur de savoir édité en 1999.

Dans ce dernier, elle met en cause la responsabilité de l’État et de l’armée française dans la préparation et la mise en œuvre du génocide tutsi.

Elle a également publié des contes et coécrit, avec Jacques Delcuvellerie et le Groupov, la pièce de théâtre Rwanda 94.

Avec le photographe Alain Kazinierakis, elle a publié un livre constitué de témoignages de survivants, intitulé Les Blessures du silence.


Mention d’honneur du Prix UNESCO pour la Paix 2003
Moral Courage Award par l’American Jewish Committee 2008
Prix international pour la Paix du Centro Studi « G. Donati », Pistoai, Italie, 2012.

 18/02/2014

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